Extrait du journal

Dès l’abord, il refusa absolument de ré pondre aux questions du magistrat. Fouillé, on ne trouva sur lui aucun papier qui pût établir son identité. Seulement, plein ses poches, il avait do petits cailloux ronds dont on est encore à se demander l’usage. Son signalement ne correspondait eu rien à celui d’un malfaiteur vulgaire. Très grand et superbement campé, il 3 le visage rasé, mais une abondante cheve lure blanche retombe en boucles neigeuses sur ses larges épaules. Très modestement, mais proprement vêtu. M. Bernard, procureur de la République, et Guillot, juge d’instruction, furent man dés par téléphone par M. Santini. A peine arrivés, ils tentèrent un Commencement d’instruction Plus heureux que le commissaire de po lice, ils parvinrent à tirer quelque» pa roles du meurtrier et à reconstituer à peu près son état civil. Il se nomme Henri Garnier, est âgé do soixante-six ans et habite rue Mouffetard, n° 69. — J’ai été tonnelier avant la guerre, a-til raconté, et en cette année-là, j’ai fait mon devoir comme les autres. Mais j’ai plus souffert que les autres de l’invasion... Quand je suis revenu à la maison, le peu de bien que je possédais m’avait été pris par les Prussiens, et depuis ce temps-là, je vis dans la misère. C’est ainsi que peut s’expliquer cette phrase que nous avons citée : « Enfin, j’en aurai donc tué un ! » Garnier, aigri par la misère, par les pri vations a vu se tourner en folie homicide sa haine des Allemands. Il a cru que l’em ployé qui lui répondait chaque jour était un de ces « Prussiens qui lui avaient pris son bien » et il a tiré dessus, voyant rouge. Causes et mobiles Peut-être même ne se fût-il pas livré à cet acte violent s’il n’y avait été pour ainsi dire amené par la force des choses. Très malheureux depuis fort longtemps, ayant à Paris des enfants qui, non seule ment ne venaient pas à son aide, mais né gligeaient même, parait-il, de répondre à ses lettres désespérées, il était sans travail, sans pain, sans un sou. Pour comble de malchance, son proprié• taire lui avait, hier matin, signifié son congé. Il partit, faisant au concierge de sa maison des adieux navrés et lui laissant une lettre par laquelle il lui léguait — en témoignage de la sympathie que lui avait toujours montrée ce brave homme — les pauvres meubles qui garnissaient son logis, <« afin surtout, disait la lettre, que ses en fants ingrats n’eussent rien de lui. » C’est alors qu’il se dirigea vers la rue de Lille, décidé — c’est lui-même qui le dé clara à M. Guillot — « à tuer un Allemand *œt à se tuer ensuite. » La victime de cette tentative d’un fou — car il me semble établi pour tous que Garnier était affolé par la misère — n’était pas un Alle mand. ; C’est, à ce que dit au moins l’ambassade, un ancien employé retraité de la Préfec ture de police. Ainsi s’explique, malgré son âge, son humble emploi d’employé auxiliaire au bureau des passeports. Sa blessure est insignifiante. A > Dépôt Garnier a néanmoins été dirigé sur la 1 Dépôt de la préfecture. Etant données les circonstances toutes spéciales qui ont provoqué et accompagné cette tentative, il est très probable que les médecins aliénistes seront les premiers saisis de l’alïaire. Il leur sera, croyonsnous, facile d’établir l'irresponsabilité du malheureux et de prouver qu’il y a là moins un coupable qu’il faut punir,'qu’un malade qu’il faut guérir. B. Ï. P. ■ —» la Fête k “ Courte et Bonne "...