Extrait du journal

A Monsieur l’abbé Dufaure, curé de ChatUy-les-Ormeaux. Mon cher curé, Soyez content !.. Votre vœu de tou jours est exaucé : votre paroissien d’été a fait ses Pâques. Je vous l’écris parce que je sai9 que la nouvelle vous fera plaisir, et aussi parce que, les avant faites, et sérieusement, je désire être classé dans votre esprit parmi les chrétiens pratiquants, sur les quels vous pouvez maintenant absolu ment compter. Comment ai-je craqué.. ? Comment le bon Dieu m’a-t-il « eu »..? Oh ! ce n’est pas sans résistance ! Pieds et pattes, le diable s’est cram ponné en moi jusqu’au dernier moment. Mon excellente femme avait com mencé le siège, il y a bien longtemps !.. Mais elle ne progressait pas. Je lisais dans son jeu, comme dans un livre ouvert Elle avait des timidités et aussi, la pauvre, des maladresses — surtout, ne lui répétez pas !.. — Elle ne savait pas m’accrocher... Et je ne voulais tout de même pas communier uniquement pour lui faire plaisir. * Mbn curé de Paris frappait plus juste. Mais il frappait de loin... Il ne m© con naît pas, et il parlait pour tout le momie. Or, vous savez que ,mon cas n’est pas celui de tout le monde... Vous, sans vous en douter, aviez mordu davantage sur moi. Tel entretien avec vous, un matin, en venant voir vos ruches, est resté en mon âme comme une flèche en pleine chair. A la lin, vous m’aviez posé nettement la question : « Si vous étiez malade, accepteriez-vous les secours religieux..? » Je vous ai répondu que non seule ment je «les accepterais, mais que, d’avance, je les réclamais. — Alors, m’avez-vous dit, pourquoi ne pas vivre tout de suite comme vous auriez voulu avoir vécu, à~Vheure de votre mort.. ? Et je suis parti les deux mains der rière le dos en me disant : « En effet!.. » Mes amis ont donné aussi, mais comme ma femme... timidement. C’est, même curieux, comme on n’ose pas, quand il s’agit d'inciter à un acte religieux. On n’a plus ces haines vigou reuses que donne le vice aux âmes ver tueuses... Est-ce manque de foi.. ? Est-ce respect humain.. ? Exagération de délicatesse mondaine ? On vous pousse avec des excuses, des gants et des mains molles. Ce n’est pas ainsi qu’on abat l’orgueil des chênes ! & Ma conscience, etlle, frappait plus fort. A notre époque où tant die choses semblent se déliquescer, j’éprouvais le besoin de sentir en moi un autre règne que celui de la guimauve. J’avais la nostalgie d’être enfin quel qu’un, et à tous les points de vue. Savoir où je vais, et par quel moyen. Obéir à une autorité qui soit une auto rité, et non pas une habileté. , S’appuyer sur des principes intransi geants, et pouvoir écrire à tel de mes sceptiques amis : « J’accepte à dîner vendredi cites loi ; mais tu me donneras du maigre, parce que je suis catholique pratiquant. » C’est ce qu’a écrit le général N..., la semaine dernière, à votre blafard maire de Chailly, et avec quelle écriture !.. des bouts de bois tout droits, qui semblaient monter à l’assaut en rang de bataille... * Le diable ne tenait plus que d'une patte, mais il tenait !.. Ah ! le gaillard, il en a du cran ! Il tenait encore le matin de Pâques. J’avais décidé d’accompagner simple ment ma femme à la grand’messe de notre paroisse où la musique religieuse est particulièrement belle. Quand, à 7 h. 1/2, en traversant mon cabinet de travail, qu’est-ce que j’aper çois.. ? Je vous le (tonne, mon cher curé, en cent*., en mille.. ? Je trouve quatre cafcétchismes ouverts, tous à la même page du commandement de l’Eglise : Ton Créateur tu recevras, * 4u moins à Pâques humblement. Et de peur que je ne comprenne pas, ie commandement était, dans chaque livre, souligné en rouge. Vous devinez le coup.. ? Mes trois garçons et ma fille — ah ! les sales gosses !.. — sachant la situa tion, et sans en parler à leur mère, avaient décidé de me faire cette attaque brusquée. Et c’est elle qui, en tempête, m’a cha viré le cœur. Alors, j’en suis là !.. pensai-je. # Sous le coup d'une subite émotion, sans me raser, je me suis habillé en vitesse et suis parti à 4’église où un pauvre vicaire avait, autour de sa boîte, comme une carapace de pénitentes. C’était une heure à attendre... Et vous savez si je suis patient !....