Extrait du journal

Nos pères avaient une formule qu’on bo peut redire aujourd’hui sans faire sourire la plupart des journalistes et l’universalité de leurs lecteurs :1a presse, disaient-ils, est un sacerdoce. Et cela était vrai pour eux, non seule ment à cause des allures pontifiantes que prenait volontiers leur prose, mais encore et surtout & cause de la pensée de prosélytisme, bon ou mauvais, qui lançait nos aînés dans la carrière. Us n’y entraient pas avec l’espoir d’en sortir pour devenir quelque chose. Ils y restaient et devenaient quelqu’un. Mais les temps sont changés. Aujour d’hui, la grande presse est tombée presque toute entre les mains d’hommes d’affaires. Les « éducateurs du peuple » sont devenus des « marchands de soupe », le journal est passé au rang de denrée commerciale soumise aux lois de l’offre et de la demande. Dès lors, ses entrepreneurs n’ont plus qu’une préoccupation : attirer et retenir le clientèle ^ Ils ne consultent plus leur propre goût; ils se plient & celui du public, comme le gargotier pimente ses plats et mixtionne ses produits selon les appé tits et les préférences des consomma teurs. Au lieu de guider le lecteur, on le suit; au lieu de le réformer, on le flatte. C’est le commerce qui veut ça, disent nos bistros des lettres. Et comme les goûts et les préférences de la masse vont d’instinct aux choses fort pimentées; comme le peuple aime naturellement les truculences qui le font palpiter et les drames qui l’épouvantent, la grosse, presse marchande le sert au gré de ses instincts. Elle inonde le marché lisant des pro duits les plus passionnants de la vie réelle et de la vie imaginée. C’est le triomphe de ces deux articles, les seuls demandés sur la place : le re portage et le feuilleton. Qu’en résulte-t-il? C’est que les consommateurs, c’est-àdire la grosse masse du peuple, s’in toxiquent quotidiennement d’histoires exorbitantes, d’images criminelles et de nhoses monstrueuses....