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La Croix, 7 septembre 1916

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La Croix
7 septembre 1916


Extrait du journal

Les stoïciens disaient : « Douleur, tu n’es qu’un mot. » Attitude théâtrale, mais erreur profonde, car la douleur existe, elle est une réalité quotidienne, elle étreint l’humanité. S’il est un sujet d’actualité, c’est môme certes celui-là. Sur toute la ligne du front, où la photographie montre les tranchées s’étendant en tous sens comme les fils d’une toile d’araignée, les obus et les torpilles atteignent chaque jour des soldats qui sup portent successivement les souffrances du coup, du pénible transport, de l’opération chirurgicale et de ses suites. A plus forte raison, la douleur sévit-elle lorsque, aux heures d’assaut, nos héros tombent face à l’ennemi et supportent pendant des heures et des jours d’atroces désordres du corps blessé mortellement. Puis ce sont les fa milles décapitées ou, au contraire, privées de leurs enfants. Que de larmes, que de poignantes amertumes couvrent les in nombrables voiles noirs que l’on rencontre partout ! Et nous ne parlons pas des ra vages causés dans les cœurs par les simples séparations, les attentes indé finies, les ruines matérielles. Oui, quoi qu’en ait pu dire le stoïcisme, la douleur existe, lancinante, cruelle. A tous ceux, à toutes celles qui souffrent ainsi nous voudrions rappeler aujourd’hui un livre d’une valeur peu ordinaire, qui mérite une estime singulière par sa pro fondeur, par sa vérité, par sa doctrine apaisante et par la noblesse de ses senti ments. Blanc de Saint-Bonnet (1) était une grande âme, il a dû beaucoup souffrir, la souffrance l’a élevé vers les cimes intellec tuelles et morales et par la Douleur il y elève ceux qui le lisent. Le philosophe chrétien jette un regard scrutateur sur le monde et sur la vie, et voici ce qu’il voit : Deux choses remplissent toute l’existence : le travail et la famille. Travailler et aimer, on n’accomplit pas d’autres fonctions ici-bas. L’homme sort de chez lui pour lutter, et il rentre de la lutte pour aimée, Douleur et amour, l'homme ne connaît que deux soupirs !... Celui qui, appartenant à d’autres deux, vien drait pour la première fois sur la terre, y verrait effectivement 'deux faits universels se lier à l’existence de l’homme : le travail et la famille ; deux choses remplir toute sa vie : la peine et les affections... A côté de la famille et du travail, on voit le fait mystérieux de la douleur. N’est-ce pas vrai ? Tout homme ne vft-il pas et ne souffre-t-il pas de son travail ? Ne vit-il pas et ne souffre-t-il pas de sa famille? . Ces pages ne sont pas de celles qu’on dévore. On les lit lentement, ori les médite, on les approifondit. C’est peu à peu. qu’on ks comprend et qu’on les goûte. Et alors il est impossible de ne pas être frappé du contraste saisissant qui remplit la vie, celui des tortures et des gloires de la douleur. Le travail, sauf pour quelques oisifs qui, selon l’expression de saint Paul, ne méri tent pas de vivre, remplit la vie de l’homme. Il l’absorbe, il le fatigue, souvent il l’écrase. Mais c’est par le labeur qu’il gagne le pain quotidien, il s’y attache, il l’aime, il en est lier, et avec raison ; par lui, il se développe et souvent il sait y trouver une jouissance intime. Jésus a voulu travailler, et il a voulu que ses parents travaillent. La souffrance physique suit l’homme à travers toute l’existence. Il pleure en nais sant, il meurt en souffrant ; entre le ber ceau et la tombe, les infirmités, les acci dents, les maladies lui rappellent, au moins par intervalles, la grande loi douloureuse. 11 en gémit. Mais cette souffrance même fortifie sa volonté. Rarement celui qui a peu souffert est complètement homme. N’est-ce pas une douleur aussi de voir la souffrance sévir autour de nous ? Mais la compassion qui nous envahit alors, en meurtrissant notre cœur, suscite ces dé vouements admirables qui sont l’honneur de l’humanité. Combien l’épreuve personnelle, en nous broyant, est parfois âpre 1 Notre premier mouvement est la révolte contre le mal qui nous atteint, mais l’expérience prouve que sous cette pression l’homme sérieux rentre en lui-même, puis portant son regard vers le ciel, il se tourne vers Celui qui, dirigeant tous les événements, peut détourner le fléau. De ce regard naissent la résignation, le calme, la patience et une orientation plus...

À propos

La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.

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