Extrait du journal
sûr f» Polyphème, il a trente-trois ans.» — Inutile de vous dire si Je « ressautais * J Trente-trois ans ! que je m’écrie. — Et bien tassés. — On me l’a vendu pour « du neuf » !» — Te frappes pas ! C'est des choses qui arrivent à des gens très bien.» T * - , Ici, j'interrompis mon cocher : — Pourtant, vous lui aviez exa miné les dents ? — Oui, mais, après neuf ans, les dents de l’âne ne marquent plus. Le soir, scène de ma femme. Je lui ai répondu : « T’en fais pas, la mère... On m’a roulé..? Eth bien ! c’est très simple... je roulerai les autres... Et même on y gagnera ! » ... Jour par jour, mon Poly phème se « décamouflait ».'Alors, moi, je l’ai « recamouflé ». Je lui ai verni le poil; je l’ai brossé, étrillé, encaustiqué— Je l’ai em mené dans la vase des marais salants pour boucher toutes les fissures de ses sabots, que j’ai passés au savon noir, et cirés, etc. A mon tour, j’ai ramené Poly phème au champ de foire.» un Polyphème ruant, fringant, se ca brant... Le malheureux L il avait du poivre de Cayenne un peu par tout. Enfin, j’ai réussi à le caser pour 1350 francs, comme un âne de sept ans. Vous parlez d’une affaire !.. J’ai même dit au type! que je venais de si bien « avoir » : — Surtout, munis-toi d’une bonne corde, et tiens-la serrée !» Parce que, tu sais» ? c’est un « bourin » de sang... C’est jeune T» Ça s’emballe !.. ... L’autre, tout heureux, voulait me payer l’apéritif... Mais, moi, j’avais peur que ça se décolle. — Non... Pas d’apéritif !.. Par rapport que j’ai l’estomac fati gué... Et je suis parti en vitesse... * Sur son siège, le cocher rit, et se tape les cuisses à ce joyeux sou venir : — Et puis, ça a continué! Vous savez» ? les bonnes poires, c’est comme les cheveux d’Eléonore... quand il n’y en a plus, il y en a encore ! Polyphème est revenu sur d’autres champs de foire... Il y en a beaucoup, en Vendée. L’an der nier, fc’est une gentille petite Pari sienne qui l’a acheté 1200 francs, comme « âne du Caire ». On l’avait camouflé à la chaux... Puis je l’ai retrouvé à la foire de Luzé». II s’appelait « Bibi », Mais quand j’ai crié : « Polyphème !.. » il s’est retourné tout de suite... Ah ! ce vieux Polyphème !.. Ce gros rire du cocher, mainte nant, me gêne. Son histoire est pittoresque, mais elle synthétise la crise de conscience actuelle. J’en ai une douzaine comme elle dans mon dossier d’articles. Ce cocher, on l’avait volé..? Il volait !.. Vous voyez, c’est très simple. La jpiauvaise action du voisin, elle provoquait et prétendait justifier la sienne. Avec une telle théorie, on peut aller si loin ! Cê lait qu’on me vend pour mes enfants... est-il du lait ? Le prix que cet hôtel me de mande est-il le prix ? Ce vin que je bois est-il du vin? Ce bateau qu’on me loue pour une excursion de colonies n’a-t-il pas, lui aussi, une tare qui peut causer, un jour, un catastrophe ? Et pourtant il est si bon de croire !.. si reposant d’avoir con fiance en la loyauté des gens. Aussi, quand, une dernière fois, le cocher s’est penché vers moi : — Hein... elle est drôle, mon his toire» ? — J’ai répondu : — Cela dépend !.. Mais il n’a pas compris. Pierre l’Ermite. ....
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
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