Extrait du journal

Partir, est-ce toujours mourir un peu? Ceux-là sont partis — vingt, trente ou quarante, qu’importe ! — et c’est la foule qui est venue à eux. Un coup de revolver — en l’air, naturellement. — et les pédales ont entraîné les roues qui tournent, qui tournent... Pendant six jours, pendant six nuits, vissés sur leurs selles, les jambes 'tri cotant éperdument, ils continueront leur ronde effrénée, les valeureux, les glo rieux, les malheureux cyclistes du Vel* d’Hiv*. Il paraît que c’est du sport ; alors est-ce tant mieux ? Mais on vient les voir comme on se rend au spectacle, on s’en amuse, et c’est sûrement tant pis ! Du sport, les Six Jours ? Ah ! non, mille fois non ! Autant une randonnée sur les routes ensoleillées à travers la campagne riante a pour un cycliste un caractère sportif, autant cette ronde d’écureuils dans Une atmosphère lour dement viciée, sous les excitations du public, peut être navrante. Du spectacle, les Six Jours ? Oui, mais qui est sur les gradins et non pas sur la piste, et de quelle lamentable qualité ! Et pourtant, j’ai fort envie d’aller interroger un coureur, après la fin de la course, évidemment. Je gage, d’avance, qu’il me dira à peu près ceci : — Nous avons fait un beau voyage, ce fut une féerie sans fadaises, sous les ombres des grands nababs ; nous avons suivi l’itinéraire de Paris sans courants d’air. Notre caravane en vélos a ren contré bien des manteaux et faux tigres parfumés. Et nos cœurs au ralenti, à l’unisson de nos machines, se grisaient de scènes de la vie en pâture. Car ce sont bien les coureurs, quoi qu’on puisse en penser au prime abord, qui ont la meilleure place. Six jours pour regarder, observer, méditer alors que le plus invraisemblable diorama défile sous leurs yeux : des pîlivres gosses aux yeux hallucinés, des snobs, des blasés, tout un monde qui burle dès qu’il croit qu’il n’en a plus pour son argent. N’avez-vous pas envie de vous enga ger pour tourner les prochains Six Jours? Monsieur Le Guet....