Extrait du journal

ma place.» C’est justice f Aussitôt le grand marin va chercher son sac, descend l'esca lier qui le conduit A terre, et fl devient chômeur à la place de l’autre. « Les yeux de l’abbé Mounier pétillent de plus en plus derrière ses lunettes». — Des traits comme cela, je vous en dirais pendant des heures ! Mais, ce qui me navre surtout, ce sont les jeunes», ces jeunes marins, aux joues pou pines, aux yeux couleur d’océan, qui ne savent rien de la vie». Quand je les vois errer au milieu de toutes les tentations de la rue, je me sens alors devenir leur père, leur mère, leur maman.» Aussi, vous ne savez pas ce que j’ai été amené à faire ? — Oh ! je le devine». — Un « Foyer du Marin », près de la place des Quinconces.» « Ici, une pause. Puis, l’abbé Mounier reprit: — Je suis allé trouver la Très Honorée Mère Supérieure et je lui ai demandé une Fille de la Cha rité... Mais, là, une qui n’ait pas peur des matelots. Elle m’en a trouvé une qui a fait toute la guerre avec les fusiliers marins. Alors, elle les connaît, et elle les aime. — Et cela va» ? — Si cela va.. ? Cela a été tout de suite en tempête.» Je succombe sous le succès... Je suis envahi, écrasé.» débordé !» Je vois des choses que les civils ne soup-i çonnent même pas».- Ah ! je pour rais vous en fournir des sujets d’articles ! Tel petit mécanicien I solide, bien planté, mais devenu aveugle au soleil de feu de la Mer Rouge et à la chaleur terrible des chambres de chauffe.» que seraitil devenu si nous ne l’avions pas recueilli !» — Mais alors, si ça va» ? — Je vous répète : ça va trop L Tous les soirs, je suis obligé dq fermer la porte en laissant des tas de marins sur le trottoir.» Oh ! ils ne se fâchent pas. Ils savent que je ne peux pas faire autre ment.» Iis me demandent seule ment quelques verres d’eau pour ne pas dormir tout à fait à jeun, à la belle étoile. — A ce point-là» ? — Je vous assure que, le soir, moi, j’ai souvent honte de man ger». Et parfois». oui,„ je vous l’avoue.» je n’ai pas mangé. — Vous voudriez vous agrandir? — Voilà !.. Vous ave* dit le mot» Seulement pour s’agrandir, ü faut de l’argent» ce sale argent» — N’en dites pas trop de mal ! — Non, mais je pense qu’il est comme la fumier : tl n’est bon « gu’étalé ». Alors, tâchez de me faire sortir quelques-uns de ces billets bleus qui moisissent inu tiles, au fond de tant de tiroirs™ Tandis que, moi, là-bas, j’en ferais de la pitié humaine... je sauverais des vies.» des âmes. Je sais que vous les aimez bien, les marins. Vous aimez la mer. Vous allez, tous les ans, vous re faire à Noirmoutier™ Alors, dites moi donc un bon oui, que je leur emporterai là-bas, demain. «s Ici, un silence. C’est moi qui le rompis : — Vous avez un chèque pos tal» ? — Si j’ai un chèque postal ! J’en ai même deux ! Mais ils sont vides... comme le ventre de mes marins. r— Donnez-moi leur numéro. Et l’abbé écrivit : Apostolat de la Mer. Bordeaux, n* 408-99. ou : Abbé Mounier, 9, me du Couvent (Bordeaux), 453-64. ». Peu importe !» Pourvu qu’on me les gonfle et qu’au seuil de cet hiver j’aie de quoi m’agrandir... de quoi servir des soupes chaudes, et garder au pays tous ces braves gens. Faites-moi un bel article., hein» ? en souvenir du 18* ba taillon de chasseurs»? — Je vais essayer. Et le voilà. Je saurai la semaine prochaine si j’ai réussi» ? Brave abbé Mounier ! Pierre l’Ermite....