Extrait du journal

Qui aime bien châtie bien et les flatteurs sont les ennemis les plus funestes, dit le poète; donc, que les honnêtes daignent recevoir de nous quelques pierres dans leur beau jardin. Autrefois, on disait : timide comme un lièvre, c’est une injure pour le gibier; on doit dire : timide comme un honnête. Dès que quatre drôles se montrent et crient, cent mille hommes prennent la fuite; c’est un comble qui dépasse les exploits des épouvantails des petits oi seaux dans les champs. ★ * • Qu’une feuille de cabaret dénonce un de ces honnêtes gens, chacun des autres, au lieu de venir à son aide, s’éloigne du malheureux dénoncé comme d’un pesti féré. Lorsqu’on expulsa, contre toute justice, les religieux, en 1880, plusieurs, consternés d’avoir osé faire un jour de résistance, se mirent, dès le lendemain, à faciliter la tâche des expulseurs. —J’apprends, disait un honnête homme, que des religieux sont réfugiés dans votre villa. — Oui, que vous importe, vous pourrez venir à la messe. — Ils pourraient aller plus loin, car je crains que leur présence en notre quartier n’attire des dangers sur mon immeuble. * * • Aujourd’hui, les commissaires de police, causent ces mêmes terreurs à leurs voi sins. Nous lisons cet entrefilet : Les sans-logis M. Dresch a trouvé un logement, mais M* Cruppl, avocat général, reçoit congé de son appartement, rue Christophe-Colomb. Et il cherche, il cherche. Les propriétaires croient donc devoir être conservateurs de leurs immeubles, jusqu’à repousser les commissaires chargés d’arrêter les dynamiteurs, et ils sont moins fous que ceux qui repoussent l’action de l’Eglise de peur du radicalisme. * * ¥ Vraiment, les honnêtes gens rendent bien facile la tâche des malfaiteurs, et ceux-ci doivent rire aux éclats de la bra voure de leurs adversaires. Un gouailleur ayant dit un jour que les fonctionnaires cléricaux seraient destitués, on vit des buralistes de tabac, des soldats retraités, supplier que.leujp neveux fussent retirés des écoles libres, de peur que la pension ou le bureau ne fussent compromis. Le gouailleur, inventeur du faux bruit, stupéfait de son succès phénoménal, se demandait, comme dans la comédie, si par hasard il n’avait pas dit vrai. * * A peu près tous les désastres sociaux viennent des troupeaux honnêtes qui fuient devant quiconque sait aboyer. En temps de révolution, il n’y a rien de plus dangereux que les honnêtes gens, disait le comte de Maistre ; ils ne font pas le bien, par peur, et laissent faire le mal. C’est l’inverse des saintes qui allaient au-devant d’un monstre, l’enchaînaient avec une frêle ceinture pour en débarras ser la contrée dont il était la terreur. Ah! combien un seul saint est préfé rable à une multitude honnête qui dé teste mais adore le diable! * » * Nous nous souvenons des terreurs que causait naguère la pensée de faire de bons journaux. On croyait qu’il fallait agir ano nymement, qu’on compromettrait le clergé devant ceux qui l’assommaient et qu’il valait mieux laisser perdre le peuple, égarer les âmes, que de se Compromettre en allant au secours....