Extrait du journal

Le fermier, après un long la beur, a vu enfin s’élancer les jeunes blés. Ils avaient faim et soif de soleil. Et le soleil est venu ! Alors, leur maître les a repris avec amour; il les a réchauffés de nitrate..., défendus contre la ter rible fleur jaune, si envahissante, qui fait la joie naïve des profanes. Puis, il a travaillé la terre pour les betteraves... H l’a engraissée, façonnée, roulée, perlée, et enfin ensemencée. * Maintenant, elles apparaissent, les petites plantes à sucre..., leurs feuilles minuscules se piquent sur la terre couleur d’ocre et, déjà, on commence à « démarier » les plus anciennes. « Pourtant, le. fermier reste in quiet. Sa femme a beau lui annoncer que le baromètre remonte... Qui„», mais, ensuite, il redescend et comment !.. Et puis, que signifie le baro mètre ! En météorologie, une seule loi semble s'affirmer : celle de la con tinuité. Quand l’année est dans un cycle de sécheresse, le baromètre peut monter ou descendre, c’est le so leil qui s’impose. Mais si le cycle est nuageux, ‘c’est la pluie qui l’emporte. Or, armée de foin, année de rien. Sans compter que, depuis des semaines et des semaines, il voit passer, tout le long de ses trois cents hectares, des cadavres d’arbres..., d’arbres, avides pompeurs d’eau, régulateurs providen tiels de la pluie..., d’arbres plantés par les ancêtres, coupés sauvage ment par les petits-fils qui ont besoin d'argent, et'd’argent tout de suite !... — Après nous, le déluge !.. En effet, c’est maintenant le dé luge. * Il reste -bien Celui qui « fait ies •saisons »: Mais celui-là, on a perdu l’ha bitude de le prier. Personne ne soulève plus sa casquette devant le calvaire de la route. Et même, en s’approchant, ôn pourrait voir, sur ce calvaire, la trace violente de ceux qui, en une nuit sacrilège, essayèrent de l'abattre. C’est, vaguement, à cause de tout' cela, que le fermier demeure inquiet.. , Cette semaine, il a pu constater que son pressentiment ne l’avait pas trompé. Ce fut vers 8 heures du soir. ’ Bêtes et gens étaient rentrés. Là-bas, a l’opposé du soleil, montait un nuage gris, qui devint plus gris..., puis noir..., puis cuivré. Le fermier le connaît bien, ce nuage-là !.. Il sait la menace ter rible qui s'agite en ses flancs. -Pour qui est-il.. ? Quels êtres..., quelles choses vient-il massacrer ? Peu à peu, le nuage s’avance... Il plane maintenant sur le pays comme un sinistre êpervier... Cha cun l’observe, opprimé. : Tout à coup, il crève... Alors, c’est une mitraille de grêle sur la plaine. Des billes de glace crépitent en rafales sur les toits, contre les vitres, s’aplatissent en terre, comme des balles sur un parapet. Tout est aussitôt recouvert, en gorgé, débordé. Le paysage d’été est devenu un abominable paysage d’hiver. Puis, subitement, comme il avait éclaté, l’orage s’arrête. , Il a duré juste dix minutes. Il peut s’arrêter... Il ne reste plus rien. Pour un Parisien, le blé paraît seulement un peu froissé. Mais pour l’homme de la terre ! La plaine est comme un champ de bataille, dont les morts seraient les blés. Ils sont debout, mais ils sont morts. Comprenez : ces blés, de magni fiques blés de semence, arrivaient à leur période la plus délicate ; dans quelques jours, ils allaient « épier ». La fusillade de grêlons a fait éclater l’enveloppe qui con tient l’épi. C’est donc littéralement la naissance violente avant terme, c’est-à-dire l’épi mort-né..., la vé gétation arrêtée..., finie. Les pièces de betteraves sont plus lamentables encore. En cer tains endroits, les jeunes pousses ont saaité hors du sol... En d’autres, elles sont enterrées. Beaucoup dérivent dans Peau, tout le long des raies d’ensemencement. La terre, battue, pilonnée, ne respiré plus. Il y en a soixante hectares ainsi. & Mais le plus triste, ce sont les jardins des ouvriers....