Extrait du journal

C’était ,en août 1914, un peu'avant Ta bataille de la Manie. Je trouvais, un matin, dans mon courrier, la lettre suivante d’un vieil et très.honorable ami : Mon cher curé, Je vous prie de garder encore le secret sur les 'fiançailles de ma seconde fille Monique. Comme je vous le disais dans ma pre mière lettre, le lieutenant-IV... l’avait de mandée, en juin dernier, et, tout de suite, le parti avait plu à ma femme et à moi. Môme genre de famille, bonne éducation, fortune suffisante, et bel avenir militaire. Cela pouvait marcher. Oui..., mais la guerre est venue ; et, natu rellement, elle a changé bien des choses. Je suis responsable du bonheur de ma petite Monique. Etait-il raisonnable de lais ser cette enfaht très aimante s'attacher à un homme qui, demain, pouvait êthe tué ou mutilé..? C’est-à-dire faire d’elle, à vingt ans, une veuve avant la lettre, ou une garde-malade dont la jeunesse et toute la vie pouvaient être rivées à un poussepousse.. ? • ^Evidemment, non ! J’ai donc eu avec le lieutenant N... une explication très loyale. Il a aussitôt rendu à notre fille la parole que ma femme et moi lui avions permis de donner. Le lieutenant est encore indemne ; mais la guerre n’est pas finie ; elle peut durer jusqu’à Pâques 1915 ! Nous nous décide rons, selon 1rs circonstances. Continuez donc à garder le secret sur un événement qui" peut Très'bien ne pas se produire. Je vous demande surtout une prière pour notre chère Monique qui est vraiment bien raisonnable. Veuillez croire, mon cher curé, à mes meilleurs sentiments. Th. K. # Or, le mois dernier, en allant à Noirmoutier, mon wagon était occupé, au dé part de Paris, par une jeune femme (entre 30 et 40 ans), une jeune fille de 18 ans, un capitaine de 26 ans et votre serviteur. Le capitaine — Légion d’honneur et croix de guerre — paraissait charmant, courtois, distingué. L’express, qui- avait du retard, filait dans la nuit comme un bolide et, assez facilement, écourtait le temps des stations. 11 en brûla spécialement une où l’on es pérait bien se ravitailler. Le capitaine alors se fit fourrier admirable. Grâce à lui, on put dîner quand même ; il démonta et re monta une glace qui ne fermait pas, plaida auprès du contrôleur la cause dfun pauvre soldat végaré dans notre voiture, etc... Bref, a un moment, transportée d’admi ration, la mère s’écria — oh ! en l’absence du capitaine : — Ma chère enfant, que le bon Dieu te fasse donc trouver un mari comme celui-là !.. # Quelques minutes après, côte à côte avec l’officier dans le couloir du wagon, je lui racontais la petite séance : ■— Vous ne savez pas, capitaine, ce que la dame disait tout a l’heure.. ? — Non... — Elle demandait au ciel un gendre tout pareil à vous ! Le capitaine se mit à rire, de ce bon rire de jeunesse des âmes claires : — Elle me paraît très bien, cette jeune fille ; mais la proposition arrive un peu lard !.. Vous êtes fiancé peut-être.. ? — Marié ! Monsieur le curé... tout ce qu’il y à de plus marié !.. père d’un citoyen de seize mois, sans préjudice d’un autre que nous attendons pour notre petit Noël. Et il me raconla son histoire. Elle faisait tellement le pendant de l’autre, que le con traste me frappa. # — Voilà, me dit-il, en allumant une ciga rette... j’étais fiancé en juin 1914 ; le ma riage devait avoir lieu pendant les va. rances. Là-dessus, la guerre éclate, je suis mobilisé, mais je puis passer par Nantes où se trouve la famille de la jeune fille. Et là, on faisant mes adieux, j’offre de rendre la parole, ou tout au moins de reculer le mariage après la guerre. Mais je me suis trouvé en présence d’une famille très marcheuse à l’étoile, et d’une jeune fille de tête qui savait vouloir, et qui surtout m’aimait beaucoup....