Extrait du journal
— Eh bien, Monsieur le député, vous venez voir vos électeurs après votre première session. Vous êtes bien aimable. Avez-vous donc beaucoup travaillé, que vous paraissez si fatigué? — Nous avons beaucoup travaillé. Mais nous aurions tort de nous en enor gueillir; nous n’avons fait que notre devoir. Au surplus, ce n’est pas à mon travail que je dois ma mine défaite: à Paris, il y a beaucoup d’obligations mondaines et autres que l’opposition taxe méchamment de distractions vaines ou même dangereuses, et, de plus, j’ai été roué de coups dans la der nière séance parlementaire. Comme c’était pour la République et pour Dreyfus que j’ai eu l’œil poché et l'échine meurtrie, j’aurais mauvaise grâce à me plaindre. — Tant mieux, Monsieur le député, que ce ne soit pas le travail qui vous a bais en cet état lamentable. Car, de votre travail nous avons bien besoin pour nous rendre le repos, la tranquillité, la prospérité, les impôts moins ùombreux et plus légers, comme vous nous l’avez promis. Nous savons bien qu’on n’a pas construit Paris en un jour, et qu’en six semaines vous n’avez pas du fournir un travail de réparation, de reformes et de progrès, que vous avez quatre ans de vant vous pour mener à bonne fin. Mais tout de même, en six semaines, on peut faire de la besogne. En avez-vous fait? — Si nous en avons fait! D’abord, deux fois nous avons été juges! — Vous avez donc étudié les lois ? Gela a dû vous demander beaucoup de temps de les apprendre, car, étant pharmacien, vous connaissiez mieux le codex que le code. Votre ignorance des lois n’a pas arrêté nos suffrages, parce que nous vous nommions pour les faire, et non pour les appliquer. Quelles lois avezvous faites pour le peuple et quelles lois avez-vous appliquées aux justiciables? Dites-nous cela un peu pour voir. — Aucune. Notre conscience a dicté nos arrêts. —Alors, on supprimera les Facultés de droit? Ce sera toujours une économie. Racontez-nous donc comment vous avez jugé deux fois. — D’abord, les collègues dont l’élec tion était contestée ont comparu tour à tour devant notre tribunal — Votre tribunal d’exception, alors? — D’exception, soit, les tribunaux ordi naires étant suspects, comme soumis au fait du prince. Nous, nous ne jugeons qu’avec notre conscience libre ét indé pendante. — Et comment a-t-elle jugé, votre con science libre et indépendante? — Elle a invariablement validé les pouvoirs des députés qui n’étaient pas élus, et brisé ou suspendu les njeindats de ceux dont l’élection ne faisait pas l’ombre d’un doute. — Il me semble pourtant — Silence! L’arrêt des consciences est irrévocable et ne souffre pas de cri tiques! — Parfait! Et votre second jugement? — La Cour de cassation avait bien acquitté Dreyfus. Mais nous avons pensé que son arrêt manquait d’autorité. Nous l’avons acquitté une seconde fois. C’est même au cours de notre sereine délibé ration que j’ai été passé à tabac. — Alors, je m’étonne que six semaines vous aient suffi. Il a fallu des mois et des années aux Conseils de guerre pour juger dans un sens, encore plus de mois et d’années à la Cour de cassation pour juger dans l’autre..... —La conscience juge plus rapidepent. Nous avons mis une séance. D’ailleurs...
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
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