Extrait du journal
L’hiver arrive !.. Tout le dit au paysan dans le grand livre toujours ouvert de la bonne nature. L’hiver arrive !.. Des nuages mélancoliques passent dans un ciel tristement éclairé par le soleil déjà lointain..., les hirondelles sont parties..., les gelées blanches pou drent, le matin, les haies à frimas. L’hiver arrive !.. L’automne qui s’en va corne sa carte d’adieu dans le jardin avec un p. p. e. en lettres d’or jaune, d’or vert, d’or rouge... L’hiver arrive !.. Mais le paysan a le sourire, car, enfin, il va pouvoir se reposer devant la che minée flambante où, le nez entre les pattes, rêve le vieux chien ami. Et le vent ululera, et la pluie ruissel lera, et la neige tombera : « Ah ! qu’on est bien en nos maisons, derrière les gros murs bâtis tranquillement par les aïeux !.. » s’écriera le paysan en ajou tant une bûche au foyer. Pendant toute l’année, le paysan a préparé son hiver. Il est né « fourmi » et il n’a aucune « cigale » en son héré dité. J1 ne possède que quelques bons de la Défense, quelques billets de banque, un rouleau de grosses pièces de cent sous. Tout cela est serré à la cave, d'ans une bouteille, et il n’y touche jamais. Ça, c’est « la poire pour une impro bable soif ». Pratiquement, mon paysan vit sur son champ de deux hectares environ, dont il a hérité de sort père qui, lui-même, le tenait de ses parents. Donc, après Dieu, son champ est tout pour lui, car e’est ce champ qui lui fournit tout. Entrez seulement dans sa maison et constatez à quel point le paysan est tranquille devant l’hiver qui vient. Voyez ces torsades d’or ? Ce sont ses oignons arrachés par temps propice et qui pendent en cette pièce bien sèche...; un peu plus loin, ses haricots. Dans sa cave, à gauche, bien sur le sable et à l’abri de la lumière, voyez ces pommes de terre rangées par espèces : ici, la hollande...; plus loin, la saucisse: puisi, trois tas plus petits : la york, les yeux bleus et la corne de bélier. Cela, c’est la substantifique provi sion..., comme qui dirait le pain de son hiver. Et c’est son luxe à 'lui d'avoir quelques variétés drôles, une sorte de gâteau en plus du nécessaire. Maintenant, retournez-vous. Sur ce plancher, ces feuilles vert pâle, c’est du tilleul pour les infusions du soir, fins loin, voici ses carottes, ses navets, son foin, son bois, rentré bien sec et empilé à l’endiroit qu’il faut. Et, là encore, il a du plaisir, le paysan, à respirer dans son bûcher le parfum puissant de la forêt, et à penser que, si le soleil s’enfuit du ciel, il en a de beaux morceaux ici, prêts à flamber. Actuellement, mi-octobre, mois ma gnifique de Pomone, le paysan met la dernière main à sa préparation de l’hiver. Qui dira, ô mon Dieu, tout ce que votre munificence peut accumuler dans un petit champ de deux hectares cultivé avec intelligence et amour ! Chaque matin, le paysan s’en va, pas à pas, faisant l’inspection de ses arbres, soulevant les fruits avec tendresse pour voir s’ils sont mûrs. Quelle joie devant son fruitier où s’ali gnent plusieurs milliers de pômmes bien saines, toutes cueillies à la main..., les unes, comme le Grand Alexandre ou la Transparente de Croncels, .pour être mangées tout de suite...; les autres, comme la Reinette de Caux ou la Reinette dn Mans, qui, en leur pelure coquette, resteront fraîches jusqu’en juillet. Au milieu, la gamme claire des Calvilles et des autres espèces faisant royalement la liaison. Et, au pied des arbres, tombe chaque jour de quoi faire deux pièces de ce cidre doré qui semble, quand on le boit bien préparé, revigorer l’être tout entier. Cette année — à part un vieux Beurré Hardy qui a tenu le coup, — pas beau coup de poires. Cela, c’est triste, car elle est si délicieuse la Doyennée du Comice ! Mais, comme compensation, des noix, des noisettes, des châtaignes qui hérissonnent leur verte armure, dans les fentes de laquelle s’aperçoit le sourire sombre
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
