Extrait du journal
C’est la printemps !.. Le pluvieux, le dur printemps.-, le printemps des gens qui ou blient que le «soleil doit être de mandé à Dieu, comme on lui de mande le pain. Mais enfin, c’est le printemps tout de même ! Ne pouvant pas pratiquer, de jour, le commandement du repos hebdomadaire, je l’observe la nuit. Je suis venu dormir à la cam pagne, loin des autobus, mais tout près des rossignols—, loin des poussières surchargées de mi crobes, mais au milieu de l’innom brable parfum des petites fleurs des champs. Et je repars, en prenant le che min des écoliers, c’est-à-dire un sentier capricieux, une route de terre qui aboutit là-bas..., tout làbas, à une petite gare champêtre, où je serai probablement seul voyageur. * La matinée est claire et lumi neuse. De gros nuages galopent dans le grand ciel. Quand ils passent au-dessus de ma tête, c’est l’hiver. Mais, entre eux, le soleil ruis selle. Alors, tout vibre, tout chante, depuis l’insecte au fond du sillon jusqu’au coq doré qui grince en haut du vieux clocher. Je marche entre les ornières creusées par les lourdes voitures de ferme. A droite,' à gauche, devant, der rière, c’est la plaine, féconde quand même !.. As sont les jeunes blés, bien soignés, bien réchauf fés de nitrate, qui ondulent sous le vent âpre, comme la crinière des poulains ou les vagues de l’océan. Différents de tailles et de cou leurs..., blés de semence ou blés de consommation..., blés d’au tomne ou blés de mars..., les uns drus et verts..., les autres, plus jaunes, parce que trop mouillés, tous aspirent au soleil..., tous l’at tendent, prêts à « épier », à s’é lancer, à chanter, eux aussi, la chanson des blés d’or. ' # ■ Par-ci, par-là, de vastes pièces de terre, de couleur fauve, soi gneusement hersées, roulées, per lées.. J’arrive près d’une attelée de six bœufs blancs conduits, l’ai guillon en main, par un Tchéco slovaque. Ces bœufs traînent une large semeuse de betteraves, sous les yeux attentifs de deux autres Tchécos, qui surveillent les cana lisations par où la graine descend en pleine terre. Les trois hommes sont superbes de santé : large poitrine, peau do rée de soleil, yeux clairs, muscles qui roulent sous la grosse chemise quand il faut aider la machine. Us ont laissé, au bord du fossé her beux, leur veste de velours; et tout l’air de la plaine les baigne de vie. Je m’arrête pour les contempler, eux et leurs bêtes... Ils sont, après Dieu, les « faiseurs de pain ». On peut se passer de tout, on ne se passe pas de pain. Us occupent et exploitent la ferme délaissée par les fils des Français qui l’avaient créée..., une ferme de 300 hectares de terres superbes..., terres de blés, terres d’avoines, terres de betteraves et de luzernes.-, terre de tout ce que l’on veut, à condition seulement qu’on l’aime un peu. * Pendant que je considère cette splendeur de toujours, et que je respire oe que les vieux pa triarches appelaient « l’odor agri pleni..., le parfum du champ plein... », là-bas, à cet endroit précis où la pièce de blé arrive en bordure de la route, se pique subitement une tache noire-., une tache qui, peu à peu, s’avance, cahoteuse, inquiétante, lugubre. On dirait- ? Mais oui— C’est un corbillard !.. Que vient-il faire ici- ? Cette mort au milieu de cette universelle vie- ? & Le corbillard s’approche— Je le distingue bien, maintenant, avec ses planches noires—, son dôme en zinc goudronné—, le cocher un poivrot célèbre — qui, la tête branlante, conduit le triste cortège. — Qui donc est mort- î de mandai-je. Le bouvier me jette alors le nom d’un jeune paysan d’ici, 25 ans, venu à Paris pour un salaire plus certain, et surtout afin de pouvoir aller, le soir, au cinéma. Et le conducteur de la semeuse m’explique que ce jeune homme travaillait dans un bureau, à côté d’un tuberculeux. Il gagnait 800 francs par mois— — — Mus il a pris « la crève— », conclut-il brutalement, dans sa langue restreinte— . # J’ai continué ma route à côté du corbillard qui cahotait- au travers...
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
En savoir plus Données de classification - louis dubois
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