Extrait du journal

Du temps que j’étais petit, que j’avais du beau sang rouge dans les Veines, j’al lais, deux fois par semaine, en grande promenade, sous la conduite patçrne d’un vieux répétiteur, qu’on appelait, en raison de ses fonctions spéciales, le père Cosinus. Il nous conduisait, en été, dans une maigrichonne prairie de bruyères et de genêts. Arrivé là, il s’affalait sous un vieux hêtre, tirait des bouquins de partout; et, plongé dans les délices des mathéma-' tiques, nous laissait la bride sur le cou. Alors, loin de l’anémie des livres, bai gnés dans le grand soleil, c’était, pour nous, l’exubérance de la jeunesse et de la vie. On criait d’abord tant qu’on pouvait4 pour satisfaire les poumons, assoiffés d’oxygène; puis, on jouait à la Tour. Il y avait, dans ce coin perdu, une butte sur laquelle, tout droit et les jarrets bien tendus, se campait le gaillard qui pré tendait être la Tour. On faisait le cercle à dix mètres autour de lui en chantant à pleine voix : La Tour prends garde l j , La Tourprends garde!..... De te laisser abattre!..... Et lui répondait bravement : Nous n’aurons garde!..... Nous n’aurons garde ! 1 De nous laisser abattre ! Alors, c’était l’assaut..... la mêlée ho mérique... tout le monde ne faisant plus qu’une grappe,piquetée de têtes joyeuses, et qui dévalait toujours, pour finir sur les genêts durs et la terre saupoudrée des fleurs rouges de bruyère. Ça, c’était le bon temps!... * .. • Et, regardez la bizarrerie des choses. Hier, comme un vieux, les pieds sur mes chenêts, je regardais le feu brûler. Il y a des personnes qui voient tout, dans le feu: le cher passé, les amis absents ou disparus, les illusions éva nouies au contact des réalités sombres, comme s’évanouissent, dans le noir de la cheminée, les étincelles brillantes du foyer Par une association d’idées, j’y vis l’abbé France ! Lui aussi, pensai-je, il est dans le feu... de son élection, à la Tour-du-Pin. Et, comme je connais mon gaillard, comme je sais que c’est un fameux lapin, je me mis à fredonner, emporté, cette fois, par l’association des mots, le gai couplet ensoleillé de ma lointaine en fance : La Tour prends garde! La Tour prends garde ! De te laisser abattre ! Mais, aujourd’hui, c’était la Tourdu-Pin!....,. Ce que c’est tout de même que l’asso ciation des idées! « Seulement, comme elle doit se laisser abattre par quelqu’un, je ne la plaindrai pas, la Tour-du-Pin, si c’est l’abbé France son vainqueur. Car, main pour main, je préférerais celle de l’abbé, aux mains louchardes des opportunistes ou aux pattés des sansDieu et de beaucoup encore ! Jugez en vous-mêmes : D’abord, il a un beau nom, cet abbé... un nom un peu plus gaulois que Heppenheimer ou Schâcre; un nom qui...