Extrait du journal
Ils ont abattu la Vierge d'Albert! f mm I—1.1 — « !>..., 17 janvier 1915. Monsieur l’abbé, C’est fait : la Vierge d’or d’Albert est tombée, la belle Madone au beau geste d'offrande, qui tendait si haut dans le ciel son petit Jésus au bout de ses bras. Ils l’ont abattue ce matin. J’af la gorge serrée de chagrin. Depuis que nous' sommes là, ce rayon doré qui brillait sur la tour rouge et blanche con solait et nos cœurs et le triste horizon. L’église, quoi qu’on en ait'dit, était fort endommagée. Mais la tour restait presque intacte, avec sa Vierge. Or, depuis deux jours, les Allemands s’acharnaient sur la pauvre basilique ajourant largement le clo cher à coups d’obus, faisant sauter l’ab side. Vendredi, à 3 heures de l’après-midi, la coupole volait en éclats et la Vierge s’inclinait à droite sur son socle. Hier, la tempête arrêta le tir de ces sadiques. Ce matin, ils se remettaient à l’ouvrage. Bien tôt, un camarade criait : « La Vierge est tombée, la Vierge est tombée ! » J’ai couru au bout dü champ. C’était vrai, Notre-Dame de Brebières n'était plus là. Oh I les lâchea 1 Je me suis adossé au mur d’une maison détruite et je suis demeuré là, à regarder, transi de froid, mais sans pouvoir m’arra cher à ce spectacle d’une mélancolie infinie. Plus de Vierge là-haut, à dominer nos misères ; la Vierge, notre Vierge, seule chose douce à voir en ce pays que la guerre rend sauvage. Oui, J’ai du chagrin, je vous le jure. Gomme folies de colère, nos bat teries lançaient leurs rafales précipitées. En même temps, les obus allemands tom baient toujours sur le sanctuaire à inter valles réguliers. Le clocher ou sa carcasse tient encore, mais ils finiront peut-être par l’avoir demain, s’ils vont jusqu’au bout de leur rage satanique. Et je lisais justement, hier, dans la Croix, que nous fêtons aujourd'hui l’anniversaire des apparitions de Pontmain. La Vierge Marie, ainsi ■outragée, no vengera-t-elle pas son image et nos armes ? Ne prendra-t-elle pas notre parti ? N’aurat-elle pas enfin pitié de nos souffrances ? Car les soldats souffrent immensément. Jamais on ne s’imaginera, à moins d’en être témoin, ce qu’on endure dans les tranchées. Jeudi soir encore, à B..., où j’assistais, tout en travaillant à ma corvée, à la relève, je me répétai cela en frôlant une à une les ombres silencieuses — et mouillées 1 — qui disparaissaient par les boyaux. Nous étions sur la lisière d’un bois ; les balles cassaient des branches en sifflant au-dessus de nos tôtes ; il tombait une petite pluie fine qui coulait comme une sueur sans fin sur nos figures et sur nos mains, et le canon parlait sur les deux bords. Parce que j’ii eu l’es prit barbouillé de littérature, je pensais à Musset qui a écrit les Nuits. Ah ! se peutil qu’il y ait eu jamais des nuits calmes èt parfumées ?...
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
En savoir plus Données de classification - mercier
- albert
- guiraud
- musset
- anvers
- henri iv
- bourgeois
- sonnino
- millerand
- boutroux
- france
- alsace
- yarmouth
- paris
- bruxelles
- autriche
- passy
- pontmain
- brebières
- amsterdam
- bayard
- havas
- sacré-collège
- c. g.
- la république
- union
- cologne