Extrait du journal
Dans ce grand drame, fourmillant d’acteurs et dp comparses, tumultueux de cris et de passions déchaînées, un acteur se détache en un relief merveilleux : c’est le peuple de ‘France. On le cherche souvent ; on se demande où il était, car il est difficile de le reconnaître dans les fous d’assemblée ou de club, parmi les meutes hurlantes qui suivaient la char rette ou entouraient l’échafaud. M. P. de la Gorce l’a retrouvé ; il a déblayé la scène, et l’on aperçoit enfin ce person nage innombrable, qui ne joue pas seu lement le rôle du chœur dans la tragédie antique, car il se mêle à l’action autre ment que par des plaintes et de> gémis santes moralités. Le peuple catholique de France a été surpris par les premières, çlarn.euïS._4c. la Révolution. Il était mal préparé à juger les idées et les formules mortelles. Il avait souffert, pas plus qu’il ne souffre aujourd’hui,'assez toutefois pour prêter une oreille naïve aux promesses qui pas saient et vibraient dans. l’air. Pourvu qu’on respectât sa conscience et son loyalisme essentiel, il était prêt à se rallier à l’ordre nouveau. Même dans la Vendée, l’Anjou et le Poitou, on ne refuse point le saut dans l'inconnu. Tout au plus,-les cahiers de doléances y ré vèlent-ils par endroits une sollicitude inquiète pour le roi. On présente aux électeurs de Saint-Laurent-de-la-iPlaine un modèle de cahier qui proteste contre toute arrestation , arbitraire, même par ordre du roi. Ils' copient le vœu, mais ils effacent les cinq derniers mots. Les paroisses acceptent la Constitution. Les élus de l’Ouest sont' presque tous, des novateurs, jusque dans le clergé. Le 13 juin 1789, les curés poitevins donne ront à l'Assemblée le signal de la fusion des ordres. Les catholiques de France ne boudent nullement à l’aurore qui semble se lever. : ils croient à une belle journée oïï l’on pourra mieux que jamais prier, travailler, être heureux dans l’immense famille plus unie. Il faudra de cruelles expériences pour transformer en rebellés ces chrétiens simples et soumis: Le serment imposé à leurs prêtres les a troublés et divisés : ils hésitent, ils s’étonnent, mais la ré volte ne, va pas au delà d’une protesta tion' motivée. Us disent, comme les paysans des Deux-Sèvres, réunis à Châtillon : « Loin de refuser l’impôt, volon tiers nous le doublerons si on veut nous rendre ou nous garder nos prêtres. » Mais leur voix se perd dans le,vacarme des haines rugissantes. Chaque courrier de Paris leur apporte une désillusion nouvelle : l’Assemblée persécute, spolie, proscrit ; et, malgré le veto royal, tous eés décrets iniques sont appliqués avec une rigueur barbare. Les paroisses ca tholiques restent paisibles; mais frémis santes un peu. A quelles épreuves on les soumet ! M. de la Gorce esquisse en line page très' dramatique l’exode des. prêtres vers la frontière. Les paysans ont vu cela : au printemps de 17$2, ils ont vu passer dans leur village de vieux prêtres aux épaules courbées, furtifs, tremblants, avec des frissons de bête traquée. Les malheureux s’arrêtaient quelques jours, pauvres, dénués de tout,v accueillis sous un toit provisoire ; et puis ils repartaient, les larmes aux yeux, la besace sur l’épaule, vers la prochaine étape, vers la frontière. Les catholiques ont vu cela. Ailleurs, le spectacle était aussi douloureux : on internait les prê tres en des maisons de refuge ; on les traitait comme on traite les criminels et les fous, et leur vie était épiée en ses moindres actes, suspecte en ses allées et venues. Et ce n’était encore que le commencement. Une sorte de délire bestial s’empare des législateurs : le 2Q août 1792, ils votent la loi de dépor tation qui condamne tous les prêtres fonctionnaires, non assermentés, à sor tir du royaume dans le délai de quinze jours. Huit jours après, ce sont les mas sacres de septembre.- Encore quelques mois, et la loi de mort sortira de l’antre de la Convention. Et chaque coup reten tit au plus profond de l’âme de la France...
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
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