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La Croix, 21 novembre 1909

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La Croix
21 novembre 1909


Extrait du journal

Il-fait froid,.. Le grand magasin exhale par ses portes une haleine étouffante. Il f ait sec... Ses glaces immenses suent à grosses gouttes. Il fait nuit.. Du haut des lampes à are descendent des ruissellements de lumière laiteuse. Dans cet éblouissement factice, un moutonnement de chapeaux. Devant ces chapeaux, une femiie d’ou vrier... -L’air honnête et simple, les yeux ar dents, les mains moites, elle regarde, sans s’apercevoir que son extase barre le trottoir:.. . — 9 fr. 95 !.. je ne retrouverai jamais une occasion pareille !.. L’année der nière, j’ai marché encore avec celui-ci... mais, cet hiver... plus à reculer ! Elle tire un pauvre porte-monnaie usagé, et vérifie si une pièce de vingt francs est toujours là.. ? Elle l’aperçoit, se cachant dans la poche verdâtre du milieu, comme si cette fille unique se blottissait dans le nid pour qu’on l’ou blie... ' — Si j’entrais.. ? Pourquoi pas.. ? Je suis venue pour ça !.. Alors, doucement, avec un petit fris son d’angoisse, elle s’insinue dans le flot de la feule... Quelques pas encore, la voici dans le luxe, parmi le grand mur mure des personnes et des choses. — Le rayon des chapeaux, Monsieur..? — Au fond, et à gauche... — Merci, Monsieur. 0 Une vendeuse — vingt-huit §ms — élégante mais fanée, un crayon dans ses cheveux poussiéreux : ; — Pour un Chapeau, Madame.. ? — Oui. — Par ici !.. Un coup d’œil sur sa cliente... Quel ques secondes de- recherche, et la demoi selle présente un chapeau immense, que la femme prend gauchement, ne sachant pas du tout quel est le devant... — Voulez-vous me permettre, Ma dame.. ? — Oh volontiers !.. je m’y perds... Aussitôt, le chapeau est posé, épinglé, recabossé. La vendeuse se recule... en veloppe chapeau et chapeautée d’un re: gard admiratif : | — Je crois que j’ai réussi du premier | coup !.. il vous coiffe à merveille. Atten dez !.. Un peu plus ■ à gauche... Làcomme ça !.. La femme reste debout, dans l’atti tude d’un cheval auquel on vient de mettre des œillères. Elle ne dit rien ; mais sa figure indique qu’elle en pense considérablement davantage. — ^Attendez, Madame... je vais allu mer la lampe de la glace... Vous verrez comme il va bien !.. — Peut-être un peu grand.. ? hasarde timidement l’acheteuse. — Oh ça... c’est la mode !.. Ce « ça » tombe sur l’objection, comme une lame de petit canif rageur. — Et puis... il me balance beaucoup !.. — Manque d’habitude !.. Après ravoir porté une fois, vous n’y penserez plus... Un temps... Oh regarde dans les trois glaces... Cruelle énigme ! — Allons, je vois qu’il ne vous plaît pas absolument. Je vais vous en essayer un autre... .0 — Celui-ci..? La' cliente disparaît tout à coup sous une espèce de panier à papiers. — Oh non, alors !. — Et pourquoi.. ? Il a beaucoup de ligne !.. Cette forme-là.. ? je vous garan tis qu’elle ne restera pas longtemps ici !.. — C’est possible !.. mais j’ai peur... — Et de quoi donc ? — Il me semble que tout le monde va se retourner dans la rue.. ? — Quelle plaisanterie!.. Si vous voyiez la mienne !.. Mors, cherchons autre chose !.. La vendeuse revient avec un chaudron noisette barré d’une plume géante. — Vous n’auriez pas des formes... un peu moins grandes... ? — Je vous répète : c’est la mode ! La jeune fille, qui s’énerve visible ment, prend une échelle, et, lentement, atteint une sorte d’abat-jour en molleton bleu, sur lequel grince une cocarde d’or. — Voici mon plus petit... — ...le plus petit !... — C’est le seul de son espèce... je l’avais même mis en réserve. Nous arri verons peut-être à trouver ce qu’il vous faut... {L’essayant avec réflexion.) Oui.» je vous comprends, Madame !... Seule ment, tout provient de ceci 4. vous n’êtes pas coiffée en conséquence !.. Vous avez beaucoup de cheveux, c’est possible !l Mais ça ne suffit pas... il faudra les com pléter un peu. Oh ! des petits riens !.. nous en sommes toutes là... N’est-ce pas... il tient bien mieux, celui-ci.. ? je le vois tout de suite !.. [ ' La femme, secouant là tête :...

À propos

La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.

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