Extrait du journal

Pipo !... C’était son rêve depuis toujours. Il avait ça dans le sang, car il était ni® d’un professeur de l’Ecole... dans le goût aussi ; un problème de mathéma tiques l’intéressait, comme une piste passionne un chasseur. Et quand, au bras de sa mère, il croi sait dans la rue un jeune polytechni cien, il détaillait le képi, la tunique jolie, l’épée presque trop coquette : — Tu vois, maman !.. dans deux ans... dans un an... je serai ainsi !.. Et il travaillait !.. Le mois dernier, sa chambre ne suffi sait plus, le salon de ses parents devint un atelier encombré de compas, de règles, de livres et d’épures. Souvent, à I heure du matin, le père y apparais sait, l’air contrarié et un bougeoir à la main : —■ Comment, René !.. tu n’es pas en core couché !.. — On y va, papa !.. on y va !.. Enfin, le grand jour arrive. Le jour terrible, où toute une jeunesse surmenée demande à son cerveau le tra vail formidable de contenir à peu près l’ensemble de la science moderne. René est prêt... fin prêt !.. dit un de ses professeurs. En effet, les premières compositions vont bien. Mais pourtant le devoir de chimie le déconcerte. Dans des données trop vagues, deux mélanges bizarres ne peu vent absolument pas s’amalgamer aux températures indiquées. René essaye le problème d’une façon... d’une autre... puis encore d’une autre... Aucune ne le satisfait complètement... II sent la gaffe... n - Alors il recommence, mais pour s’en liser en de vains efforts. II y a là un « X » qui échappe à l’emprise de toute son intelligence tendue. Plus il cherche, moins il trouve. A la fin, il ne distingue plus. Il est dans la situation d’un artiste qui, après avoir longtemps peiné sur une ressemblance, ne voit plus rien... qui a peur de gâter son œuvre... qui voudrait tout oublier, pour regarder ensuite avec des yeux tout neufs. Mais quoi.. ? Son voisin ne lui a-t-il pas fait un signe..? En effet !.. Ce voisin, un jeûné homme de son fige, murmure à son oreille, avec précaution, une interrogation suppliante. Lui aussi est fortement embarrassé par le problème. II s’est servi d’une formule qu’il in dique... mais que vaut-elle dans la cir constance.. ? Ce qu’elle vaut.. ? . René se frappe le front !.. Cette question est pour lui un véri table éclair !.. Il passait, tout à l’heure, à côté de l’évidence sans la voir !.. Maintenant, il est sauvé !..-i>l a la clé !.. Oh ! les longs détours qu’il prenait !... la peine qu’il s’est donnée inutilement !.. Il rassure son voisin d’un rapide signe de tête ; puis, à grande vitesse, il recommence son problème. Déjà les chiffres succèdent aux chiffres, les pre miers résultats apparaissent... Comme tout est facile maintenant !.. Oui !.. mais alors un cas de conscience surgit en son âme droite. ■Cet examen est un concours ; le nombre des reçus est limité. Le succès d’un candidat, c’est donc fatalement le désastre d’un autre ! Dan® ces conditions, a-t-il le droit, lui, de se servir du renseignement fourni par son voisin.. ? Question angoissante, qui se pose tout de suite en tempête dans un cerveau sur mené par quatre heures d’efforts et. pen dant que, là-haut, la grande pendule scande impitoyablement les minutes qui •restent. A-t-il le droit.. ? A tout hasard, il travaille quarn^ même. Bientôt, les deux copies sont prêtes. La première, en partie fausse ; la se conde, évidemment et complètementexacte. Pas à pas, les examinateurs s’appro chent, car l’heure va sonner. René regarde la salle. Partout des figures anxieuses, des, yeux cernés, des expressions de souf france, des mains trop blanches et trop maigres qui offrent et qui reprennent, pour vérifier une fois encore. — As-tu le droit.. ? crie plus fort la. conscience. ... Il y a ici des riches et des pauvres !.. ... Il y en a qui ont plus besoin que toi !.. ... Il y en a qui sont à l’extrême limite d’âge, et qui ne pourront jamais recom mencer ! ... Tu vas prendre une place, mais la quelle.. ? „. Peut-être celle d’un camarade plu» honnête, et dont la vie sera à jamais...