Extrait du journal
Au mois de septembre dernier, un, reli gieux apprend à Bordeaux qu’une co lonne est en formation pour aider déli vrer les Français captifs à Marrakech. Il a 86 ans ; c’est l’âge de la retraite, et bien sonné ! Qu’importe ! H n’hésite pas : sa place n’est-elle pas au milieu des enfants de France, puisqu’il y aura parmi eux des malades, des blessés et des morts ? Il s’embarque à bord du pre mier paquebot4 en partance pour le Ma roc, avec un détachement de relève. A l’arrivée en rade'de Casablanca, deux nouvelles la peste règne et les Captifs de Marrakech sont délivrés. Mais le missionnaire ne s’arrête pas pour céda. Il ira vers la ville conquise, les occasions d’exercer son ministère ne lui manque ront pas' sur la route. Il y trouvera bien dès malades , et des blessés, lui annonce le général Ly&utey, mais on ne peut lui reconnaître aucun titre officiel ; il fera partie de la colonne à ses frais, risques et périls. Le P. Jacques Fabre est trop charitable pour écrire qu’il s’attendait à cet accueil. Il n’en fut pas décontenancé : « Ne vous inquiétez de rien, reprit-il simplement ; j’ai les fonds de la Providence, ils sont inépuisables. Et puis/mon général, je ne croirai jamais qu’un prêtre de France puisse mourir de faim au milieu d’offi ciers français. » Il avait bien raison de ne pas douter. On l’entoura de prévenances, et il reçut dans les camips l’accueil le plus frater nel : prêtres et soldats ne se retrouventils pas toujours la main dans la main en face de l’ennemi ? Non seulement il eut partout son couvert à la table des officiers, mais ce fut à qui se dépouille rait pour lui : un colonel donne sa tente, un, brigadier son lit de camp, le com mandant des trompes à Marrakech met à sa disposition deux mules, une pour sa chapelle, une pour lui-même, avec une selle magnifique de velours rouge, ornée de pompons et munie d’étriers en argent oiselé massif, qui provenait des dépouil les d’El-Hiba en personne. Le pauvre Père, qui s'offrait à 66 ans, potir ses débuts en équitation,, des étapes de trente kilométrés dans le bled, sous'un soleil de feu, trouva qu’elle eût été bien belle pour .une parade, mais qu’elle était peu confortable à ses reins ! Il partit de Casablanca en chemin de fer : dans un Decauvilte traîné par deux mules. Et l’apostolat commence ; à BerRechid, où le missionnaire passe trois jours, il visite les malades — il y en a cent soixante à ^hôpital — et les tombes des soldats ; messe au camp le diman che. A Settat, il baptise deux enfante de sergents ; plus loin, le fils de l’auber giste. A Mechra Ben Abbou, au camp des négresses, femmes des Sénégalais, il en découvre trois catholiques, converties par des bonnes Sœurs dan® le centre africain ; elles firent leurs confessions et leurs Pâques le lendemain. L’aumônier note que ses pénitentes sont entièrement et proprement vêtues, tandis que les autres... C’est là aussi qu’un Sénégalais vient le trouver : « Moi catholique, dit-il en faisant le salut militaire, moi avoir instruit ma petite femme. Moi vouloir toi la baptiser. — Très bien. Amène-la moi, » Elle arrive, le Père l’interroge : elle savait ce qu’il fallait de prières et de catéchisme. Pendant l’examen, le mari se tenait près d’elle, triomphant. Elle reçut le baptême. A toutes les messes qu’il dit sous sa tente ou à l’ambulance, les officiers et les soldats assistent en grand nombre, comme ils ont fait à bord du paquebot, où la plupart l'entendirent à genoux. « Ne partez pas, supplient-ils, restez ; vous nous faites du bien ; restez, afin que nous sachions que nous avons un ami auprès de nous. Sans vous, nous Serions exposés à ‘mourir comme des bêtes. » Après l’enterrement d’un tirail leur, algérien, dont le corps fut accom pagné par un marabout mahométan, des soldats font leurs réflexions : « Eux ont de la chance,- disent-ils en parlant des musulmans, on leur laisse un prêtre, les cérémonies, de leur culte ; mais; nous, Français, il faut mourir comme des chiens. » Quoi de plus poignant que celte plainte, et-quelles responsabilités amas sent sur leur tête ceux qui, par leur faute, ont créé en France une situation religieuse dont — malgré la présence de, quelques religieux — il résulte que nos braves soldats sont en grande partie pri vés d’un soutien dont ils auraient si grand besoin ! Aucune persécution ne revêt un caractère plus odieux que celle qui est dirigée contre des jeunes gens autour desquels rôde la mort ; s’il en est beaucoup que les circonstances ont éloi gnés de la pratique religieuse, bien rares sont ceux que l’épreuve quotidienne et le sacrifice de leur vie généreusement offert ne ramènent pas à la foi. Et par un juste retour ils y puisent la meilleure partie de la force morale, source de leur magnifique endurance. Le P. Jacques Fabre emporte de son passage dans les rangs de nos troupes une profonde admiration pour le soldat français. Il a vu chacun faire son devoir et aller au sacrifice, humblement, gaie ment. Quant aux noirs, ils se donnent, eux aussi, de tout leur cœur, à leur patrie d’adoption. Nous savions déjà, par les récits d’épopée que nous, a contés le colo...
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
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