Extrait du journal
Aux grandes vacances dernières, je visitai la Grande Chartreuse; la beauté du site et la majesté de la nature ne purent pas chasser de mon âme la pro fonde mélancolie qui l’envahissait. N’avais-je pas devant les yeux l’une des plus criantes iniquités qu’ait commises en France l’anticléricalisme et qui nous fait baisser la tète devant l’étranger tant qu’elle n’est pas réparée ? Et dans mon âme de catholique je sentais ’ un remords angoissant. Com ment avons-nous laisse se perpétrer l’iniquité qui a chassé des religieux charitables de leur demeure plus de huit fois séculaire ? Comment suppor tons-nous que ce vol demeure toujours impuni et cynique, depuis un quart de siècle ? Parmi nos élus, parmi ceux qui professent leur foi chrétienne, ceux qui croient encore à la justice et à l’honneur, comment ne s’en est-il pas trouvé pour réclamer hautement à la tribune du Parlement, parlant à leurs collègues et au pays tout entier, la réparation d’une pareille injustice ? « Res clamat ad dominant ! La. pro priété réclame «on maître. » Cet axiome de droit, répété au cours des siècles par la conscience humaine, hantait mon esprit au cours de cette triste visite. Les maîtres, ce ne sont certes pas les gardiens galonnés qui reçoivent au nom du Conseil général de l’Isère et de son f>résident M. Léon Perrier, ministre de a Justice, les visiteurs français et étrangers. Eux-mêmes ne parlent que des Chartreux. Ce sont eux,, disent-ils, qui ont construit au xvn* siècle ces vastes bâtiments, et s’ils approfondis saient l’histoire, ils ajouteraient que ces religieux les élevèrent à six reprises différentes, quand le monastère fut détruit par l’incendie, et au xvi* siècle par les huguenots. Peut-on imaginer titres de propriété plus anciens et plus souvent renouvelés ? Au cours de la visite, ce sont les Chartreux que le guide officiel ne cesse d’évoquer pour expliquer la vie d’un monument qui, sans eux, n’est plus qu’un cadavrç. Voilà leurs maisonnettes ne pouvant servir qu’à eux, ; parce qu’elles ont été faites- pour eux ; leur raison d’être, c’est le Chartreux qui doit l’habiter, c’est la règle monastique qui y fait vivre le Chartreux, Ce prie-Dieu, cet oratoire, attendent le religieux absent. Ce tour de -menuisier aie pourra marcher que le jour où reviendra, le moine qui Je mettra en mouvement pour s’acquitter du travail de,s mains que lui .imposé; la. règle, et ce jardinet restera inculte tant qu’il, ne sera pas remué par l’ermite qui, en le cultivant, pensera'au paradis. « Res clamat ad domi num ! La propriété appelle son maître. » La ’ grande- chapelle est désormaie vide et saris voix. Elle a été faite pour que, jour et nuit, retentisse la voix des religieux, chantant sans relâche les louanges de Dieu, ‘laits perennis. Nuit etv jour elle était vivante, même au milieu des ombres dè la nuit, lorsque, leur lanterne à la main, les Chartreux prenaient leur place à leurs stalles pour chanter l’office divin. Aujourd’hui, elle est dépouillée de ses ornements et de ses habitants; elle est un corps sans âme. elle a perdu sa raison d’être tant que les religieux n’y seront pas. Res clamat ad dominum ! On nous conduit à la bibliothèque où, au cours des siècles, les religieux ont médité sur les textes sacrés.' Il y avait là des trésors mis sans cesse en valeur par des intelligences qui médi taient sur les plus grands problèmes de l'humanité. Pillée par les protes tants, pillée par les révolutionnaires elle avait été reconstituée par les fils d’élite de l’Eglise, cette « éternelle reçommenceuse ». La bibliothèque est vide de nouveau, vide de ses livres, vide de ses écritoires. vide de ses lecteurs ; corps sans âme ! Les barbares sont passés par là, et là où régnait la vie ils...
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
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