Extrait du journal
M. de Montyon, de qui les fondations diverses permettent à l'Académie française de se montrer chaque année si libérale, était un propriétaire très entendu et un créancier peu accommodant. Il mandait à son régisseur Parain de ne pas manquer à faire cueillir les cerises qui poussent sur les jeunes arbres, quel que fût leur peu de valeur, pour qu'on ne s'accoutumât pas à les voler. Il faisait assigner la veuve Jérôme Lantenois, en paiement de 13 livres qu'elle restait lui devoir sur w6, et il refusait do faire à Louis Merland une légèr -émise sur sa redevance do 4i> livres, bien que la récolte de celui-ci eût été totalement grêlée. Il est vrai qu'en même temps il envoyait 200 livres de riz pour être distribuées parmi les pauvres do sa seigneurie de Montyon, et il poussait même la sollicitude jusqu'à indiquer une recette pour faire cuire ce riz (1). Mais, terre ou capital, il estimait que tout bien doit porter intérêt, et il aurait voulu qu'il en fût de même de la vertu. Jeune intendant il avait été, du moins à. son dire, victime d'un passe-droit, et il faisait parvenir à Louis XVI d'assez vertes réclamations Sire, lui écrivait-il, il n'est pas surprenant que, dans un grand Etat comme celui de Votre Majeté, quelques actions louables restent inconnues et sans récompense; mais si tel était l'ordre des choses que le zèle et les services fussent traités comme des fautes, et ne fussent payés que par des disgrâces, le malheur d'un particulier deviendrait la cause publique. p Ce fut pour empêcher que des actions louables demeurassent inconnues et sans récompense qu'un demi-siècle plus tard, il léguait à l'Académie la somme considérable dont, suivant ses intentions, nous partageons chaque année les revenus entre des Français pauvres ayant accompli des actions vertueuses. Ce faisant, M. de Montyon croyait sincèrement avoir encouragé la vertu. Y a-t-il réussi? J'espère que non. J'espère que les 63 700 francs que nous allons distribuer tout à l'heure au nom de M. de Montyon et do ses imitateurs, car il en a eu beaucoup, n'ont exercé et n'exerceront aucune influence sur la vertu en France. S'il en était autrement, si ceux dont vous allez entendra proclamer les noms vivaient dans l'attente fiévreuse de cette récompense et l'avaient escomptée dans leurs rêves, si ceux que nous couronnerons l'année prochaine ou les années suivantes se disaient d'ores et déjà tout bas Quand viendra donc mon tour », npus aurions travaillé, M. de Montyon et nous, précisément à rencontre de ce que nous nous proposons. Le jour en effet où la vertu cesserait d'être désintéressée, elle perdrait son mérite et sa fleur. Mais ne craignez rien. Nous connaissons nos lauréats, et nous répondons de leur ignorance: sur 100 que nous couronnons cette année je gage qu'il n'y en a pas 80 sachant ce que c'est que l'Académie française, pas 10 connaissant le nom de M. de Montyon, et je suis certain qu'il n'y en a pas un soûl qui se soit préoccupé d'obtenir un des prix fondai par lui. Les Français pauvres et vertueux dont j'ai vous parler, M. de Montyon, et je m'en applaudis, ne les a donc pas encouragés du tout....
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
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