Extrait du journal
Nous sommes en 1880. J’ai 24 ans, et j’arrive, petit vi caire de troisième classe, à Clichy. 42000 habitants ! Gomme église, l’ancienne de saint Vincent de Paul— 400 places. Quel problème !.. 'Aussi, j’ai im médiatement l’obsession du jour nal, seul moyen, à mon jeune avis, de pénétrer en toute cette foule. Je l’ai tellement, cette obsession, que je vais trouver le directeur de ïEclair, et je lui propose de pro pager son journal. Iluit jours après, juste le jour du lancement, l'Eclair attaque, en premier article, l’archevêché de Paris. Donc, rien à faire avec cette feuille. #■ C’est alors que j’allais à la Croix, pour la première fois, par un beau matin d’avriL Je me souviens, comme si c’était hier, de la petite cour du 8 de la rue François-I" et de son aman dier, sous lequel il neigeait des fleurs. En haut d’un escalier en bois, j’aperçois un bon géant à barbe blanche, et, à côté de lui, un petit religieux, doux et rêveur, à barbe noire. C’étaient le P. Picard et le P. André. Je demande le P. Bailly ? On m’ouvre une porte, et me voilà dans la salle de rédaction. — C’est celui qui est là-bas..., au milieu de la table..., m’explique un petit jeune homme qui répond au nom archangélique de « Gabriel ». . Taille moyenne, mais 'élancée, serré dans sa ceinture de cuir, le P. Bailly, debout, lit attentivement une épreuve. Je respecte son travail, mais je regarde... J’aime tant regarder du fond d’un coin ! Belle tête..., mèche en bataille..., nez aquilin..., longue barbe grise..., des yeux malins èt fouilleurs..., allure de chef. Sa lecture est finie... Le Père me fixe par-dessus son lorgnon ; , — C’est à moi que vous en voulez ? — Oui, mon Père... «— Ce sera long ? — Non. Je lui raconte alors ma tenta tive à VE clair, que je considérais comme un bon journal modéré, et le « bec de gaz » immédiat... En m’écoutant, le Père démêle sa barbe, joue avec son lorgnon, et rit d’un si bon rire que j’en ris moi-même. — Ah ! jeunesse !.. jeunesse !.. Et alors on veut recommencer avec la Croix.,? *— Oui, mais... j’ai peur ! « Le Père protèste : — Peur.. ? Peur de quoi ? Je lui bêle les objections clas siques et ressassées de cette époque de frousse..., le Crucifix..., le journal trop caractérisé pour mon milieu ouvrier..,, la crainte des réactions, etc. Le Père se remet à' rire : — Vous me rappelez tout à fait un vicaire du Gros-Caillou. On l’appelle auprès d’un terrassier très malade et mangeur de curés, et on lui dit : « Allez-y douce ment!.. Précaution!.. Précaution. » Le vicaire y vint une fois..., deux fois..., lui paria de la pluie et du beau temps. Et il recommençait la troisième fois, quand, brusque ment, le terrassier l’interrompt et, d’une voix rogue : « Ah ! çà— qu’est-ce que vous attendez pour me confesser— ? » ... C’est ça, le peuple. Il déteste le drapeau dans la poche. La Croix réussit dans les milieux ouvriers, précisément parce qu’elle l’ar bore. Et voilà !.. J'étais conquis. A partir de ce moment, chaque samedi, j’allais rue François-I tantôt déjeuner..., tantôt aux réu nions du soir. Je revenais seul, vers li heures, au grand effroi de ma mère, dans la solitude menaçante du boule vard de la Révolte. — Vous verrez, disais-je au Père..., un jour, vous apprendrez qu’on m’a « zigouillé »... — Parfait !.. Quelle belle gazette pour la Croix !.. Et puis, vous se riez le premier martyr de la Bonne Presse !.. A tout hasard, apportez donc voS’e photographie... Beaucoup ont loué dans le P. Bailly son esprit surnaturel, qui fut la force animatrice de toute sa vie. Ce que je veux surtout souligner aujourd’hui, c’est qu’il fut cet être si rare qu’on appelle un chef. Il en avait le profil d’aigle et la voix. Il en possédait surtout l'âme. Au milieu de l’épaisse incom préhension des catholiuues, il vil, du premier coup, l’irrésistible force du journal, et il crut en elle. Pas un instant, il ne douta de l’excellence de son œuvre....
À propos
La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.
En savoir plus Données de classification - hitler
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