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La Croix, 27 septembre 1916

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La Croix
27 septembre 1916


Extrait du journal

Parmi les fleurs qui germent aux tran chées, les dévotions ne sont pas les moins vivaces. Elles constituent comme des agents de liaison surnaturels, entre les âmes et Dieu. i Entre toutes, il en est une qui éveille, en môme temps qu’une douceur et un ré confort, une sorte d’étonnement. Mais c'est une dévotion dont on ne peut écrire dans les journaux qu’avec réserve et prudence ; car elle n’est pas officiellement consacrée par l’Eglise. Elle monte vers une âme sainte, dont la cause, agréée par la cour romaine, n’est pas encore jugée. ' C’est de la merveille du Carmel de Liieux, Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus que je veux parler ici. 11 ne convient pas, en effet, de citer en public, ni surtout de qualifier, les faits multiples et concordants qui attestent à la fois, la confiance que des milliers de soldats témoignent à l’humble Carmélite, et la pro tection dont ils lui rendent grâces. Ces faits appartiennent à la Congrégation des Rites. •Mais ce qu’il est permis de constater, ce qu’il est peut-être opportun de commenter, c’est l’existence même de ces recommanda tions sans nombre et de ces remerciements sans réserve. On ne doit pas, sans doute, apprécier la valeur intrinsèque de ces té moignages ; on peut, du moins, souligner leur multitude et leur harmonie. C’est un fait qui s’impose à notre atten tion. Il forme un des éléments de l’histoire surnaturelle de cette guerre, un des traits l’âme française au sein de la grande tragédie. Bien plus, il porte un enseigne ment. Pourquoi ce fait ? D’où vient la piété de nos soldats pour la vierge de Lisieux, leur foi dans sa protection ? Voilà, certes, un problème, capable de tenter, non seu lement le chrétien fervent, mais l’observa teur réfléchi. A première vue, entre la Carmélite et le troupier, l’œil ne saisit que des contrastes. Contemplez, en effet, l’existence obscure, silencieuse et pacifique de la religieuse ! Ensevelie au monastère à l’éclosion de son adolescence, elle y prend son vol pour les eieux dans la fleur de sa jeunesse. Totale ment ignorés du monde, ses jours rapides ne sont pas même illuminés, au regard de ses sœurs, par ces actions prodigieuses et ees traits miraculeux dont sont tissées la plupart des vies saintes. Dû donc est le rapport, où le point de jonction, entre cette fleur du cloître et le soldat de la grande guerre, rude et boueux dans les champs labourés de mitraille, te nace à la résistance, intrépide à l’assaut, peinant dans l’attente ou luttant dans la fournaise ? On cherche en vain les similitudes ; on ne discerne que les oppositions. Mais, cependant, creusons plus outre, et nous découvrirons l'harmonie des -deux âmes. Elle est à la source de leurs actions. pette guerre révèle à nos soldats, sou vent à leur insu môme et par une impres sion qui les pénètre, plutôt que par une lumière qui les éblouit, elle leur révèle, néanmoins, la nécessité de ces mêmes ver tus que Thérèse de l’Enfant-Jésus pratiqua, jusqu’à l’héroïsme, en pleine conscience et en plein vouloir. Autant qu’un profane en peut juger, l’élément le plus profond de la sainteté, chez la vierge de Lisieux, c’est la constance à tout faire et à tout souffrir en esprit de devoir. Elle n’a réalisé ni gestes mer veilleux ni œuvres mémorables ; mais ‘lie n’a cessé de remplir, en tout, jusqu’aux derniers détails, son devoir de Carmélite. Or, le devoir de la Carmélite, pris à la racine, c’est le devoir môme du chrétien. Lé sol où plonge cette racine peut bien différer, de l’un à l’autre cas. Les fruits peuvent changer de forme ou de couleur. 'Mais, jaillie du cloître ou du monde, la plante du devoir se nourrit des mêmes sucs et tend vers le môme ciel. Et, à son tour, le devoir du soldat corn battant, tel qu’il se dévoile aux clartés de la guerre, n’es} autre que le devoir du chré tien militant. C’est par là que l’homme des tranchées rejoint la moniale du Carmel. Car, on le sait trop, ce n’est pas une suite ininterrompue d’exploits que la vie de nos défenseurs ; c’est plutôt une chaîne indiscontinue d’abnégations, un’ enchevê trement d’obéissances, d’ennuis, de oorvées, de misères. Ces « boyaux » raboteux ou vaseux, qui Içs enserrent ou les enlisent,...

À propos

La Croix est un journal catholique conservateur créé par Emmanuel d’Alzon, prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. Quotidien depuis 1883, il continue d'être publié de nos jours, dans une version bien moins partisane et religieuse que par le passé.

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