Extrait du journal

Hier encore, c’était un gosse... On lui aurait tordq, le nez, comme on dit pittoresquement dans le peuple, il en serait sorti du lait... Teint blanc et rose, petit duvet timide de pêche de vigne, de grands pieds bêtes, des bras idiots, une voix qui mue... « Ton neaux !.. Tonneaux !.. » Ça jouait au Peau-Rouge avec sa sœur... faisait collection de timbres-poste, et ne voyait pas d’ennui plus intense dans la vie que de subir sa première partie de bacca lauréat.... Tityre, tu patulæ. - * Et puis, le grand frisson passa sur la patrie. D’abord, le gosse a cru qu’il ne serait pas de la danse... La guerre devait durer deux mbis, et c’étaient les hommes seulement qui se battraient... La guerre va entrer dans sa troisième année ; les hommes y ont fondu, comme le fer dans le haut fourneau et, à la voix du canon d’alarme, la patrie appelle ses en fants de vingt ans... puis de dix-neuf... JÛors, le gamin s’est dit : « Mon tour peut arriver !.. mon tour arrive !.. » Et, aussitôt, l’homme a surgi de l’enfant. Il a surgi, l’éclair aux yeux l’épée à la main, tout le cœur de la race battant dans son cœur. Il a surgi, bien avant qu’on appelle sa classe... • Un soir, l’adolescent a dit à papa et à maman : « Si je veux être un bon soldat, il faut que je fasse de la préparation mili taire. » Très fier de son gars, papa a répondu : « Oui I » Maman émue — elle croyait tellement que cette heure n’arriverait jamais, — ma man a dit : — Tu t’enrhumes si facilement 1.. — Raison de plus !.. je dois me fortifier. Ce ne sont pas des poules mouillées qui arrêteront les Allemands... Je suis trop blanc, mes bras sont trop mous, je ne sais pas monter à cheval— Laissez-moi m’en traîner. Alors, maman a cédé : « Va !.. » » Et il s’en est allé... Au soir des jours d’études, lui qui aimait déjà le coin du feu, entre papa, maman, la petite sœur et le chat familier, il’est allé à Vincennes, à la porte Champerret, à la porto Maillot, s’ajouter à la foule anonyme de centaines et de milliers d'autres jeunes gens. Il y est allé par le chaud et par le froid, par le vent, la pluie et la boue... Il a fait des marches, des tirs, des écoles à pied et à. cheval ; il s’est écorché les mains aux avant-trains, il a servi le canon, étudié la mitrailleuse... Le gosse d’hier porte déjà l’uniforme et le calot, comme un guerrier. Il aime son 75. Il a une manière enthousiaste de saluer l’officier qu’il rencontre, de- joindre les talons et de faire sonner ses éperons, comme jadis les faisaient sonner ies jeunes chevaliers. Et à tablé, la conversation retentit de mots techniques, de chiffres, de balistique, de poudres brisantes et de gaz nouveaux... « Pourtant* un jour, une crainte terrible est venue s’installer au foyer du futur poilu. . .... Le lieutenant de service avait, la veille, regardé l’enfant, très poussé en asperge, et lui avait dit : — Ce que tu es grand tout de même Combien pèses-tu.. ? — Je ne sais pas... — J’ai peur que tu n’aies pas le poid3... Et ton tour de poitrine.. ? Le lieutenant avait mesuré avec une fi celle, et fait la grimace... — C’est rudement juste 1.. — Et alors, on nè me prendrait pas.. ? — Dame 1. Si tu n’as ni le poids, ni la largeur !.. Depuis ce soir-là, le gosse ne vit plus. C’est la gymnastique, les tractions, les barres parallèles, la barre fixe, tout ce qui peut élargir la cage thoracique et grossir les bras... . . , . , ' . Quand il revient le soir, lui aussi prend sa ficelle ; il mesure, se fait mesurer par...