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La Dépêche du Berry, 16 septembre 1933

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La Dépêche du Berry
16 septembre 1933


Extrait du journal

Alors que, dans les débuts, j’allais à la pointe de Quiberon pour y passer l’été et même une partie de l’automne — il y a de cela vingt-deux ans déjà ! — la navigation à voiles existait toujours. Elle a périclité depuis. Il y a encore un maître voilier au petit port, mais il ne travaille plus que pour les barques de pèche ; en core celles-là veulent être aussi à la mode ; beaucoup, maintenant, ont un moteur. Mais, en ces temps lointains, le « longcours >. comme on disait, se faisait sur des voiliers plus ou moins bien entoilés. Il y en avait, de ces grands bâtiments, jusqu’à cinq mâts. C’était une merveille de les voir, au large de Belle-Ile. gonflés de toutes leurs blancheurs et semblables de loin à ceux que l’on voit aujourd’hui en relief dans les cadres, en réductions minutieuses sous des globes de verre ou enfermés dans des bouteilles. Les gars d’ici allaient rejoindre leurs bateaux à Nantes et. de là, gagnaient assez souvent l’Amérique du Sud. Ils \ mettaient au moins trois mois pour atteindre Valparaiso du Chili ou la Guayra. Quand on était sorti des alizés, il fallait compter avec les calmes plats de l’Equateur. Alors, dans l’air brûlant, toutes voiles molles, on avait le loisir d’effectuer des travaux pour lesquels ces gros doigts de matelots ne semblaient point préparés. Tout un art minutieux ce déployait dont on réservait les pro duits, au retour, à sa « douce » ou à la Madone. Ces matelots du long-cours étaient des rudes. Une fois débarquée sur les quais de Nantes ou de La Rochelle leur car gaison de phosphates ou de bois précieux, ils s’en allaient couler un mois au pays pour embrasser les leurs et quérir des nouvelles de la fiancée. Us rapportaient des choses bizarres que l’on se mon trait le soir, en famille : des parures exotiques, des noix de coco et de volumi neux coquillages où l’on entendait le chant des sirènes. Us rapportaient sur tout des histoires et c'était pour les leur entendre conter que j’étais toujours à l’affût de leur retour. J’avais connu ainsi Yves Le Bourdiec, bourlingueur enragé, qui avait franchi cinq fois le cap Horn et fait trois fois le tour du monde. U était facile de lui délier la langue, au petit café du Port, à l’heure quiète où les phares s'allument quand la nuit tombe vite au début d’oc tobre. — Yvon, mon marin, c’est du « bou ché » ce soir ? — Du bouché si tu veux, mais donnemoi du tabac. — Alors ?... — Alors, on va repartir dans dix jours. C’est à Belle-Ile cette fois que j’em barque. Goélette « Bahama >. Capitaine Lf Quellec. Un gars, que je connais celuilà et qui n’a pas eu d’histoires. — D'histoires ?... — C’est qu’on voit de tout dans la bourlingue. Faut toujours être paré. Mon dernier captain m’a conté une drôle d’aventure, et si je dis drôle, tu sais, c’est bien façon de parler... « U faut te dire que j’avais connu en mai dernier, sur les quais de Valparaiso, où l’on embarquait du palissandre, un grand type, très costaud, avec qui j’avais vidé plusieurs verres dans un bar et dont la confiance qu’il m’avait marquée tout de suite, la demi-confession qu’il m’avait faite, avaient fait naitre chez moi de l’amitié. U s’appelait Paul Tartas. Son récit m'avait avoué crûment qu’il était un homme au fond de l’eau s’il n’obte nait pas. sans tarder, un engagement. Il voulait revoir son pays, qui se situait dans les Landes, et où sa vieille mère, toujours vivante espérait-il, l’attendait depuis près de quinze ans. « Les choses s’arrangent parfois dans la vie. Tartas eut de la chance que Madec, un des hommes de « La Pru dence » (c’était le nom de mon bateau) se cassât une patte sous la chute d une poutre, car l’hospitalisation de ce der nier créa du même temps une vacance que l’homme combla aussitôt lorsque je l’eus présenté au captain Le Gallo. « Tout étant arrimé, nous sommes donc partis de Valparaiso le vendredi 30 de mai, c’est-à-dire au début de l’hiver, comme tu n’es pas ignorant que, là-bas, les saisons sont renversées. « Mon Tartas s’occupait de son mieux. Il semblait familier au service d'un voi lier à croire qu’il n'avait fait que ça toute sa vie. Je ne lui connaissais pas de défaut, à peine de manie, si pourtant, une seule, celle d’avoir toujours, et nuit et jour tu entends, son même béret en foncé jusqu’aux sourcils. On l avait bla gué plusieurs fois. Certains avaient affirmé qu’il nous montrerait bien un jour la couleur de ses cheveux, s’il en avait ; mais à la moindre allusion d’un enlèvement de son couvre-chef, le type devenait farouche. On finit par le laisser tranquille avec ça. « Notre père Le Gallo n’était pas d’hu meur folâtre. C’était un ours, bougon, parlant à peine, sans cesse absorbé par son compas et sa manœuvre. Le fait est qu’une bien douloureuse affaire régnait sur sa vie. Il l’avait contée par bribes à son second, qui, un jour, nous la rap porta dans l’entrepont. Et voilà ce que c’était : Un soir d’hiver, comme le cap tain, revenant de Nantes, avait touché plus tôt qu’il ne pensait le patelin où sa mère vivait seule, il arriva devant la maison et frappa à la porte. On ne ré pondit pas. Mais l’huis n’étant point clos, a sa surprise, il entra tout de suite. Ayant allumé un falot, il vit le logis bousculé,...

À propos

Fondée en 1893, La Dépêche du Berry était un journal régional suivant une ligne éditoriale de centre-gauche, ou « radicale ». Il paraît jusqu'en 1944.

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