Extrait du journal
Je vous ai parlé l’autre jour de cette admirable Maman Rose parce que l’on ne pourrait guère avoir une opinion sur un pays si l’on ne pénétrait les âmes. Or. la Bretagne a mieux encore que sa beauté physique, elle a une âme. Mais si vous pouvez en avoir par instant la per ception. vous ne pouvez vraiment la sai sir. dans ses aspects multiples, qu'en vous familiarisant avec les autochtones. Leur aspect est rude, mais ils ne sont pas sau vages. Ils parlent volontiers. Vous pour rez croire les avoir gagnés. Dé trompezvous. Ils sont clos, comme jadis leurs lits, à l’égard de celui qu’ils appellent l'étranger, parfois « le Parisien », c’està-dire celui qui n'est pas de chez eux. C’est par le truchement de Maman Rose que j’ai connu la vraie Bretagne. Cette brave et noble femme s’était, pour ainsi dire vouée à ma famille. La ser vante au grand cœur était la vestale du souvenir, mais elle apportait dans l’ac complissement de ses rites, beaucoup de son âme bretonne, attachée au mystère, attachée au passé, attachée surtout au souvenir de tous les grands drames humains. Elle avait reporté sur moi un peu de la vénération qu’elle avait eue pour ses anciens maîtres. Et c’est parce que. parfois, elle pensait tout haut devant moi, que j’ai pu apprécier la nuance de son cœur et ce qui le reliait à l’infini. Cette croyance dans le retour des morts n’est qu’un aspect des préoccupations que beaucoup, ici. ont encore. Ils en ont d'au tres, comme la singulière histoire que je vais vous conter vous montrera. Vous connaissez votre Histoire de France et vous savez, dans ces grandes lignes, la cruelle affaire des « émigrés » dans la presqu’île de Quibcron. Disséminés en Angleterre et en Alle magne, les émigrés, en juin 1795, c'était sous la Convention, crurent que le mo ment était favorable pour rentrer en France, reprendre leurs biens et ramener la royauté. Pleins d’illusion, au nombre de dix mille, ils s’entendirent avec les Anglais qui les embarquèrent sur une escadre dirigée par le commodore Waren. Cette escadre parvint à Quiberon le 25 juin. Le 27. la première division de la petite armée put débarquer près de Carnac. Georges Cadoudal et le comte de Tmténiac, à la tête de leurs Chouans, avaient épuré le pays. Le général Hoche, envoyé par la Convention, fut averti sur les lieux de ce mouvement et apporta la riposte. Mais je ne veux pas vous faire un cours d'Histoire.... Vous savez que la petite armée royaliste fut refoulée dans la presqu’île et reietée à la mer. L’escadre anglaise ne fit pas ce qu’elle devait faire. La baie de Port-Haliguen charria des cadavres et. malgré la parole donnée, les prisonniers furent conduits près d’Auray et impitoyablement massacrés. La prai rie où s’accomplit cette affreuse bouche rie s’appelle aujourd’hui « le Champ des Martyrs ». Et voici ce que la bonne Rose me conta, un beau soir de septembre, il y a quel ques années, sur le seuil de sa porte, tandis que les lointains de la lande se doraient encore d'un restant de crépus cule et que, tout près de nous, les cra pauds du jardin, en frémissant dans les herbes, lançaient par instant leur note mélancolique. Ces émigrés, en débarquant de l’escadre anglaise et durant les jours qu’ils occu pèrent la presqu’île, avaient commencé d’abord par mettre leurs biens en lieu sûr. Leurs cassettes, contenant de l’or monnayé à l’effigie de Louis XVI et des bijoux de famille, furent enterrées de ci, de là, dans des endroits soigneusement repérés par eux. Ils n’avaient pas prévu la défaite et la sanglante refoulée vers la mer. qui s’opéra si rapidement qu’au cuns. même parmi ceux qui purent -ejoindre l’escadre anglaise en barque, " eurent le temps de dénicher leurs trésors... Il y a donc encore, ainsi que ce fait historique le démontre, des coins de lande ou de jardin dans la presqu’île qui abritent des cassettes merveilleuses. Mais allez donc les retrouver ! Le hasard, Ma man Rose me l’affirma, a permis à un vieux pêcheur de sa connaissance de mettre à jour l’une d'elles en creusant les fondations d’un petit mur pour son enclos. L’homme ne dit rien. Mais, un mois après, il se faisait construire une maison qui est encore la plus belle du village. Il la paya argent comptant et, quelque temps après, abandonna la pcche. Ces trouvailles ont hanté l’esprit des gens. Maman Rose avait une maisonnette à Saint-Pierre-de-Quibcron qui ne valait pas quatre sous avant la guerre. Elle était contiguë à la demeure d’un Parisien qui, pour agrandir sa salle à manger, aurait été désireux de l’acheter. Il en offrit un bon prix. Mais la propriétaire, bien que tentée, refusa... — Et pourquoi ? lui ai-je demandé. — J’aurais encore vendu la maison nette, me répondit-elle, mais le jardin allait avec et c’est au jardin que je tenais le plus... — Comment cela ? — Ah ! Monsieur Raoul ! C’était un petit bien qui me venait de famille et voici ce que ma grand’mère m’avait conté. Elle avait vécu les terribles jour nées de juillet 1795. Tour à tour, elle avait vu Eombreuil passer avec ses hommes pour aller au secours de d’Hervilly, trahi dans le fort de Penthièvre, et elle avait vu le même Sombrcuil revenir, un ban...
À propos
Fondée en 1893, La Dépêche du Berry était un journal régional suivant une ligne éditoriale de centre-gauche, ou « radicale ». Il paraît jusqu'en 1944.
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