Extrait du journal

La culpabilité de Rouanet est, en effet, de celles qu'il fallait dégager tout d'abord. Et je me demandais par quel scandaleux abus de la faveur la plus inique il échappait à la répression qu'il mérite. Il y a dans le Panama deux sortes de coupables. Le public a le tort de ne jamais penser qu'à ceux qui ont collaboré à cette vaste opération, et ont ainsi dirigé vers leurs propres poches une partie des économies confiées à M. de Lesseps pour percer le fameux isthme. Ceux-là sont coupables, assurément : mus leur faute est déjà bien vieille. Comme la justice s'est refusée à les punir, on ne pourrait les ressaisir sans ri quer de discréditer cette admirable magistrature française que les autres planètes nous envient. Demandez plutôt à M. Q. de Beaurepaire ! Puis, à quoi bon ? Cela rendra-t-il l'argent perdu à ceux qu'ils ont dépouillé? Outre que quelques-uns l'ont déjà dépensé, ceux qui l'ont gardé ont le plus vit désir de ne pas le rendre. Or, comme ils ont eu le ; temps de le mettre à l'abri, les poursui- ; tes nouvelles seront tout à fait inutiles. ■ D'ailleurs, il n'est pas sans inconvé- i nient de compromettre le sacro-saint i principe de la propriété. Or, les pana- < mistes sont propriétaires des profits qu'ils ont réalisés dans l'affaire, à peu près au même titre que la plupart de nos financiers le sont de leur immense for- ■ tune. Croyez-vous que les millions du jeune Lebaudy fussent mieux acquis que ceux q'on a ramassés dans le Panama ? Les voleurs ont du bon, quand ils s'y prennent adroitement. Ils font l'activité de la Bourse, « ce grand marché des capitaux », indispensable « à la prospérité du pays ». Aussi les panamistes proprement dits ne sont-ils coupables que jusqu'à un certain point. La question est j douteuse. Voleurs, soit : ce sont des vo- j leurs bien posés et bien vus. A quoi bon les tracasser pour un péché de jeunesse?...