Extrait du journal
Voilà la guerre engagée au Maroc. Il n'est pas permis aux plus optimistes de se le dissimuler. A chaque nouvel inci-' dent nous nous enfonçons plus avant dans J'aventure. Et cela est inévitable. La politique de la France a été conduite de telle sorte que c'est nous, nous seuls, qui apparaissons à l'ensemble des tribus marocaines comme l'ennemi. C'est par la France et par la France seule qu'elles $e croient menacées dans leur indépen-' dance et dans leurs habitudes. Dès .lors, à chaque nouveau contact de la France et des, tribus, les malentendus s'aggravent^ les haines s'exaltent; et en occupant tel ou tel port du territoire marocain, nous ne faisons qu'élargir en effet la surface de choc et de haine. Ainsi de, proche en proche la France est entraînée à une intervention plus étendue et plus dangereuse. Le gouvernement se flatte à cette heure de cerner le massif où vivent les Beni-Snassen et de les affamer. Notre confrère M. Camille 5abatier, qui connaît bien les choses marocaines, estime au contraire que les Beni-Snasseill- peuvent vivre dans leurs montagnes, qu'ils y récoltent assez de blé pour n'avoir pas besoin de s'approvisionner dans les plaines et que nous p'aurons raison, d'eux qu'en occupant les crêtes. Dans les deux hypothèses (je n'ai pas compétence, pour me. prononcer entre elles) la situation est dangereuse, ou du moins elle peut le devenir. Il se peut que, les Beni-Snassen, qu'on n'affamera pas en. quelques jours, ne se laissent pas réduire à cette extrérnité sans un effort désespéré. Il se peut qu'ils réussissent, par la fermeté de, leur résistance, à passionner pour leur cause d'autres tribus marocaines et que cellesci soient tentées de prendre à revers le petit Corps français d'investissement. Il • se peut que la délivrance des BeniSnassen bloqués devienne au Maroc le mot d'ordre de la guerre sainte. L'empressement qu'ont mis deux tribus des confins algériens à s'unir à eux est un avertissement. D'ailleurs l'autorité du sultan Abd-el-Aziz. avec lequel notre diplomatie a lié partie, est battue en brèche. Il semblait avoir eu quelque succès sur son frère et rival Moulay-Hand : mais 'yoici que sa méhalla vient de se faire. battre. La cause-du sultan a été trahie en plein combat par un des chefs en qui il avait confiance. Que resterat-il bientôt de son prestige, et ue deviendra-t-il pas tous les jours plus odieux aux Marocains à mesure qu'il leur apparaîtra. comme l'allié, comme l'instrument de ces étrangers, de ces « infidèles » qui poussent tous les jours leur armée plus avant ? Alors les prétendants rivaux peuvent former le, dessein de grouper autour d'eux toutes les forces marocaines en leur proposant comme but national et religieux la libération, la défense des Beni-Snassen investis dans leurs montagnes. Dans l'hypothèse même où le gouvernement aurait raison et où il * gérait possible de couper les vivres aux Beni-Snassen, ce n'est pas l'opératron d'un jour ni même sans doute de quelques semaines. Un large délai est donc ouvert à l'agitation marocaine. Mais qu'adviendra-t-il si le gouvernement se trompe, et s'il faut-renoncer à réduire par la faim, même après ,de longs mois d'attente et de siège, les tribus montagnardes ? Ce sera un grave échec qui ajoutera à' l'exaltation des Marocains ijans toute l'étendue du pays. Alors le gouvernement dira : Il est impossible que la France reste sous le coup de cette humiliation. Il faut relever son prestige. Et ce sera l'ouverture officielle de la grande guerre enfin annoncée. Dans l'hypothèse de M. Sabatier, même danger. Car si le gouvernement hésite à aborder le massif et à s'emparer de,*,> crêtes, c'est sans doute qu'il croit l'opération hasardeuse. M. Sabat.ier lui-même ne peut pas garantir qu'elle irait sans des surprises possibles. Or il suffirait qu'une de nos colonnes subît un désastre pour que le drame qui s'annonce par un prologue encore timide ne s'amplifiât soudain par l'émotion de défaite qui meurtrirait la fierté française, par l'émotion de victoire qui exalterait l'énergie marocaine. Ainsi ce.s deux tactiques nous mènent au même résultat probable, c'est-à-dire à un conflit d'ensemble et de front avec un peuple de sept ou huit millions d'âmes. Quelles seront à tous les points de vue les conséquences de ce conflit ? Il est inutile d'y revenir aujourd'hui. Le pire sera de créer de nouveau un malaise européen, de ranimer entre la diplomatie française et la chancellerie allemande les aigres contro-...
À propos
La Dépêche est un quotidien français régional fondé à Toulouse le 2 octobre 1870 sous l’initiative d’ouvriers de l’imprimerie Sirven. Par ses plumes, le journal s’inscrit dès ses débuts dans une mouvance de gauche, Jean Jaurès et Georges Clemenceau y sont très engagés politiquement par exemple, et le journal finit par s’affirmer en faveur de la révision du procès Dreyfus. Maurice Sarraut, membre du Parti radical-socialiste, en devient propriétaire en 1932.
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