Extrait du journal

Novembre 1914 J’étais encore du service armé. En convalescence sur la côte d’Azur; un malin, je pris un petit tramway pour aller à la ville voisine obtenir une prolongation de congé. Novembre gémissait au bord de la mer la plus bleue ci sous le soleil le plus tiède. Quelle langueur ! Et devant une nature si clémente ne de vait-on pas faire un effort pour penser que là-haut, parmi les flaques, l’eau cl la boue, c’était lu guerre impitoyable, — à son dé but. A une station, un blessé monta près de moi ; il s’appuyait sur une canne, et quoiqu’aussi invalide que lui, je l'aidai à s’ins taller. Tout de suite, il me fit la conversation; il était horticulteur dans le pays, ces champs d’æillels qui bordaient la route étaient les siens. U avait trente-deux ans, il était marié, il 11’avait pas d’enfant ; le premier jour de la mobilisation, il avait re joint son régiment ; et avec ce merveilleux accent qui chante encore à mes oreilles, il me raconta que le corps dont il faisait partie, entre tous, s’était couvert de gloi re. Je n’eus pas l’occasion de lui faire pièce avec mes médiocres campagnes. Il parlait d’abondance, trop vite, et les mots moins rapides que les idées chevauchaient les uns sur les autres, si bien qu’ils donnaient à la conversation une sorte dexpêle-mêle et de confusion qui n'indiquait d’ailleurs qu’une trop grande richesse d’imagination. Le tramway tourna autour d’un petit ma rais qui s’envasait parmi des roseaux,dans la mer : « Tenez ! s’écria-t-il ; regar dez cet étang. Ah ! on peut dire que j’eû ai tué des canards et de la sauvagine dans ce coin-là .. J’avais des appelants, les meil leurs du pays, pas moins, et robustes, et...