Extrait du journal
Quand Marie-Anne eut terminé son récit, le silence se fit dans le vaste hall. encombré de hautes plantes vertes, de brassées de roses et d'millets dont la lumière électrique pâlissait les vivaces couleurs, tandis que leurs parfums activés par la chaleur de l'atmosphère se répandaient ardents jusque sur la ter- ' rosse que la mer lourde, frangée d'une 1 écume d'argent, battait en un rythme ] pesant et régulier. Dans l'orageuse paix ' de cette nuit, chacun de nous réfléchis- ( sait. L'histoire douloureuse, saignante ( encore, d'une séparation suivie d'un ( éclatant divorce nous avait arrachés aux \ puérilités coutumières de la conversa- { ti on. Après de si longues années 1 d'amour, ou tout au moins de vie pai- lsible et commune, à l'heure venue, où j ilétait permis d'espérer que les fougues J de la jeunesse étant passées, le couple allait entrer définitivement dans la pé- 1J riode calme des affections longuement [ éprouvées, le scandale avait bruyam- J ment éclaté; l'abandon du domicile con- 1 jugal, l'enlèvement d'une printanière I beauté, le flagrant délit constaté par les c soins d'une femme légitime en juste cou- c roux, rien n'y manquait ; et comme les c aventures qui touchent à l'amour ont toujours le don de passionner ceux qui en F parlent, après un instant de recueille- ^ ment, chacun donna son avis sur l'affaire 1 en question et le défendit véhémente- ^ ment. Chose assez singulière, parmi les r femmes réunies ce soir là chez notre c amie, ce furent les plus jeunes, les toutes jeunes, qui se montrèrent les plus pon- aérées en la matière. Elles s'accordèrent ponr trouver que Mme X. avait maladroitement agi. Selon elles, elle aurait dú, sans avoir l'air de s'en douter, laisser . s'user jusqu'à la corde la passion de son l m iri pour cette jolie et neuve fille,au lieu d de l'activer, de l'irriter, de l'exaspérer p par les reproches, les scènes et les obs- d taries. Etant donné que, comme chacun d le sait ici bas, l'amour ne dure pas, il n'y S avait qu'à attendre avec simplicité la fin b de la crise, qui ne pouvait manquer d'arriver un jour ou l'autre. On voyait bien, t( ajoutèrent les très jeunes personnes si m sage.;, que Mme X. n'appartenait pas à oi leur génération et qu'elle était imbue des CI idées romanesques et surannées, aujour- ^ d hui mises au rancart, qui avaient fait § en leur temps, verser tant de larmes • inutiles à leur mères et à leurs aïeules. pl Quelques femmes aux visages fatigués dont les cheveux s'argentaient visible- I ment, détournèrent la tête, humiliées de , ces mépris à peine déguisés....
À propos
La Fronde est un journal quotidien féministe fondé à la fin du XIXe siècle par Marguerite Durand.
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