PRÉCÉDENT

La Gazette de Château-Gontier, 16 mars 1930

SUIVANT

URL invalide

La Gazette de Château-Gontier
16 mars 1930


Extrait du journal

Mon cher Ami, Vous souvenant que depuis quatorze ans je passe mes vacances dans le Midi et que je connais, pour les avoir parcourues maintes fois, les contrées qui viennent d'être si doulou reusement ravagées, vous me demandez d écri re pour les lecteurs de la Gazette ce que je pense de ce désastre. # , , Hélas ! toute plume est impuissante a dé crire comme il conviendrait un tel cataclysme !. Ces pays que j'ai vus si fertiles, si heureux, si calmes, sont maintenant couverts de ruines. Et ce ne sont pas seulement les habitations qui sont détruites, c'est la terre elle-même qui est ravagée, cc sont des vies humaines qui sont sacrifiées. En vérité, notre pauvre France ne traverse pas une période heureuse. Une guerre longue et impitoyable vient de ravager le Nord et l'Est. Sous un bombarde ment intense, nos plus riches départements ont vu leurs villes détruites, leurs manufactures anéanties, leur commerce ruiné. Puis, sous la pluie d'obus, la terre bouleversée, parsemée d'entonnoirs profonds, zébrée de tranchées, semblait être devenue une terre chaotique, im propre à toutes récoltes futures. Voici qu'on vient à peine de panser ces blessures cruelles, que nos villes, bourgs et villages commencent seulement à ne plus mon trer de ruines aux visiteurs, que les moissons couvrent à nouveau le sol, pas partout, mal heureusement, car il y a des terres si boule versées qu'il est impossible de les remettre en état de culture. El voici que d'autres terres fécondes, que d'autres cités industrielles sont ravagées à leur tour. Le Midi avait été épargné par la guerre et l'invasion ; là où la main brutale d'un ennemi impitoyable n'avait pu semer aucune ruine, les éléments déchaînés, en quel ques heures, ont apporté le désastre. Ces rivières que j'ai vues chaque été si calmes et si bleues, mais en même temps si peu abondantes que je me demandais si jamais .dans leurs crues d'hiver elle pouvaient remjdir leur lit de cailloux polis semé d'îlots de verdures, ces rivières ont soudain, dans une nuit, pris une allure de torrent épouvantable. En nos pays de l'Ouest, on ne peut se figurer ce que peuvent être ces torrents, sans eau l'étc, mais grondant dès qu'un violent orage éclate ou quand la fonte des neiges est trop rapide. Les journaux nous apprennent que le \Tarn en certains endroits est monté en moins de quatre heures de plus de dix mètres. Essayez de vous figurer la. force dévasta trice de cette masse énorme d'eau dévalant les pentes rapides et culbutant tous les obstacles. Dans certaines vallées plus étroites, l'eau s'est élevée de douze, de quinze, de vingt-deux mè tres même. On reste confondu devant la pen sée d'une trombe semblable. A Perpignan, la Têt, qui n'a pour ainsi dire pas d'eau pendant six mois de l'annce, et dans le lit de laquelle je n'ai jamais vu cou der qu'un mince filet sur un très large espace de cailloux polis qui servent à empierrer les routes du département, l'eau est venue si vile qu'en quelques heures elle débordait et que sur plus de la moitié de la ville il y avait un ou deux mètres d'eau. Entre Perpignan et Narbonne, en face des étangs de Salses, la voie du chemin de fer inondée fut entièrement coupée. Les bas quar tiers de Narbonne et de Béziers ont été rava gés. L'Aude, la belle Aude bleue que fai vue si claire, si chantante l'été, coulait en torrent charriant du limon, et le Canal du Midi, ayant crevé ses digues, s'unissait à elle pour inonder les magnifiques vignobles qui l'avoi sinent. Et maintenant, c'est la ruine. Si les départements de l'Aude et des Py rénées-Orientales ont souffert, ceux du Tarn et du Tarn-et-Garonne ont souffert encore davantage. L'antique Cathédrale-forteresse d'Albi et le superbe palais des archevêques qui dominent le Tarn, n'avaient jamais été témoins de pareille crue, aussi violente, aussi subite, aussi forte. Jamais le vieux pont romain, qui relie les deux quartiers de la ville basse et de la ville haute, n'avait subi pareil assaut. Le vieux pont a résisté, tandis que d'autres, modernes, ont été emportés comme fétus. Plus bas, à Montauban, le Tarn est arrivé en trombe dans la nuit et a aussitôt, en quel ques heures, submergé les vieux quartiers. Mais c'est à Moissac surtout que le désastre a été terrible. Moissac, jolie petite ville de près de cinq mille habitants, qui possède de vieilles églises curieuses, •— l'une surtout dont le portail sculpté fait l'admiration des connais seurs, — est un centre très actif d'expédition de raisin. C'est par millions que chaque etc partent les billots de chasselas doré,qui sont expédiés non seulement en France, mais à l'étranger. A Moissac, il y a un bas quartier situé entre la rivière et le canal. En pleine nuit aussi, le Tarn, grossi de l'Aveyron, se rua sur ce bas quartier, éventra les maisons, les bouscu lant comme un gigantesque bélier, pénétrant partout avec un bruit sinistre, apportant l'épouvante qu'augmentait encore l'obscurité profonde, car l'électricité et le gaz furent cou pés aussitôt. A Moissac, toute la partie basse de la ville, sauf quelques rares maisons, est entièrement détruite, et on a trouvé dans les décombres déjà 97 morts. En dehors de ces villes dévastées par le Tarn, que de villages qui ont souffert 1 Quel ques-uns même, comme Reynies, sont entiè rement anéantis ; l'église seule, bâtie récem ment sur la hauteur, a résisté. En passant en chemin de fer On voyait ces villages tran quilles, aux vieilles maisons d'un style tout spécial au Midi, couvertes de vieilles tuiles brunes, qui ressemblent si peu à nos bourgs de l'Ouest, et qui* au milieu des vignes et des cul tures, égayaient le paysage. Et maintenant les souchcs'&es vignes sortent d'un limon épais d'argile, des cailloux couvrent les prairies, et les villages n'existent plus. La ligne de che min de fer elle-même est détruite en plusieurs endroits. Le Tarn n'a pas seul fait des dégâts dans celte contrée. Deux petites'rivières, l'Arnette et V Agent, se soyit elles aussi transformées en torrents. La plaine de Castres, si riche, si industrielle, où chaque année pour ainsi dire on construit quelque nouvelle usine, a vu f A go ut, si tranquille d'ordinaire, s'enfler...

À propos

Lancé en 1878, La Gazette de Château-Gontier fut un bihebdomadaire, puis un hebdomadaire local. Collaborationniste pendant l’occupation, il est interdit en 1944.

En savoir plus
Données de classification
  • tardieu
  • briand
  • herriot
  • autrand
  • marin
  • doumergue
  • vallat
  • goy
  • pasquet
  • poincaré
  • france
  • paris
  • tarn
  • moissac
  • egypte
  • angleterre
  • l'aude
  • reims
  • mayenne
  • young
  • suez
  • sénat
  • parlement
  • vieille france
  • exposition coloniale
  • muller
  • école primaire
  • société des nations
  • temps nouveaux
  • conférence navale