Extrait du journal

:r une chaise et me reposer. Au café, on paie sa place en prenant une consommation ; l’infirmière, puisque je ne pouvais rien boire, aurait dû absorber cafés, bocks, fines. ..celle que j’aurais emmenée blonde serait rentrée grise. Bélagnon était pour moi l’homme nécessaire ; il avait de bonnes jambes, un gosier sec, une belle croix de guerre et une face mutilée qui en imposait. La première fois que je vis le chasseur Bélagnon, sa rééducation était à ses débuts, son attitude s’en ressentait. Il parlait au professeur Morestin. Son œil gauche démesurément ouvert, fixait la figure du maître, l’oreille se tendait vers lui avec un air de menace, comme si le chasseur le mettait au défi de répéter un mot déjà entendu. Au contraire, la main gauche, portée en avant paraissait réclamer une poignée de main. Il avait été bien abîmé, le brave Bélagnon : Borgne de l’œil gauche, sourd de l’oreillle droite, le bras gauche atrophié. Ça lui était arrivé, alors qu'il remplissait un emploi bien pacifique. Il allait porter la soupe aux camarades. A la c unpagne, pendant la moisson, on voit tous les jours de braves femmes allant porter à déjeuner aux tra vailleurs ; on se demande pourquoi on avait eu recours à un chasseur décoré de la Croix de guerre, s’étant maintes fois distingué dans des patrouilles, pour cette fonction modeste. C’est que telle fonction qui peut être remplie par une vieille et bonne grand’mère dans la vallée du Rhône, réclame un brave à toute épreuve à l’Hartmannswillerkopf. C’est par là-bas, sur ce sommet tant disputé de nos Vosges, qu'il s’en allait un jour, de son grand pas, courbé sous le poids des gamelles, quand il rencontra son comman dant de Chasseurs. Celui-ci lui dit : « Mon ami, ee n’est pas le moment d’aller là-bas, -- attendez que ça tape moins dur ». Tl avait...