Extrait du journal

« Alexandre » a une taille élevée, des épaules larges, des traits énergiques, une moustache longue, aux pointes acérées, et des yeux brillants que surmonte une épais se broussaille de soumis. L’air d'autorité qu’il garde, et que rien ne justifie, lui vaut l’admiration craintive des employés de bu reau et le respect des sergents de ville. « Alexandre » parait : avant même qu'il ait ouvert la bouche pour parler, on est prêt à lui donner raison. Les situations les plus enviables lui étaient réservées, dans la Ré publique, s’il avait pu se taire toute sa vie. Il n'y a point réussi et a dû se contenter d’ètrc commis de l'enregistrement, voya geur de commerce, épicier ou dentiste. En tout cas, la profession qu’il exerçait en temps de paix ne permettait pas de supposer qu’une déclaration de guerre suf firait à métamorphoser « Alexandre ». La chose, cependant, a'est produite. A peine achevait-on de coller sur les murs des édi fices publics les affiches de la mobilisation qu’« Alexandre » découvrait en soi-même un génie égal à celui des plus grands capi taines. Il concevait sur-le-champ un plan d'opérations stratégiques qui, défensives ou offensives, se terminaient également par une victoire définitive. « C’est bien simple, expliquait-il; j'en voie vingt corps d'armée sur la frontière do Belgique et dans les Vosges... » Il disait : « C’est bien simple, » parce que son cerveau ne trouvait plus aucune difficulté à résoudre des problèmes compli qués, et il ajoutait : « J’envoie, » parce qu'il n'était pas éloigné de croire que l'on solliciterait ses conseils. Le Destin en • décidé autrement : l'état major ne dou tera jamais qu'« Alexandre » aurait dû s’appeler César ou Napoléon. Je répète : César ou Napoléon. Vous demeurez sur pris et vous criez au miracle. Vous ne vous trompez point; c'en est un. « Alexandre »,...