Extrait du journal

La Justice cet boiteuse, elle vient à pas lents, Male elle vient... I^î poète qui a dit cela s’est montré op timiste, car la justice ne vient pas tou jours ; mais en tenant même son affirma tion pour exacte, on devrait ajouter que parfois la justice arrive si tardivement que c’est, pour celui qu-i l’attend et l’espère, comme si elle n’arrivait pas. On a dit bien des choses sur les lenteurs de la justice, mais il reste encore bien des choses à dire, et comme on parlera de la gloire de F Autre « sous le chaume bien longtemps », au dire de nos grand’mères, de même on parlera de la justice boiteuse tant qu’il y aura des juges et des plai deurs. Le procès qui vient d’être jugé il y a quelques jours, à Reims, par le conseil de préfecture, n’est pas fait pour démentir cette prévision. Rarement une affaire ré clama plus impérieusement une solution rapide et parut plus facile à régler, et pourtant il n’a pas fallu moins de neuf ans pour que les juges compétents disent leur dernier mot. Encore ce dernier mot n’est-il peut-être que l'avant-dernier, car il pourrait bien se faire qu’un appel quelconque de la partie condamnée vînt remettre tout en question. Voici l’affaire, telle que la rapportent les journaux locaux. Le 2 juillet 1900, un menuisier de Reims, M. Goulard, passait à la nuit tombante dans une rue de cette ville, lorsqu’il mit le pied dans la gargouille cassée d’un trottoir et se cassa la jambe. On le trans porta chez lui, — ou bien à l’hôpital, je ne sais pas au juste ; — mais la cassure était mauvaise, des complications se pro duisirent, si bien que le malheureux me nuisier dut subir l’amputation. Pour un homme obligé à travailler de ses mains, c’était la ruine et la misère à bref délai. M. Goulard se dit alors que la Ville, propriétaire du trottoir, et payée pour l’entretenir en bon état avec l’argent des contribuables, avait manqué à ses de voirs en laissant en place une gargouille brisée, et qu’elle devait être tenue pour responsable des dommages et accidents causés par son incurie. Il intenta un pro cès à la ville de Reims devant le tribunal civil ; mais la Ville déclina la compétence de ce tribunal, et l’affaire, au bout de deux ans, fut portée devant le Conseil d’Etat. f Vous pensez bien qu'après un tel effort d’activité, la justice, notre Justice, éprou va le besoin de souffler un peu. Elle souf fla pendant quatre ans, et dans l’année 1906, ayant enfin repris haleine, elle dé...