Extrait du journal

Antoine publie ses « Mémoires ». C’est une belle page de notre histoire théâtrale. Pour mesurer l'œuvre accomplie su point de vue de la libération du théâtre, de la révélation des auteurs, des progrès de la mise en scène, de l'art du comédien, etc., etc., il faudrait suivre au jour le jour l'immense effort d'Antoine et mar quer les résultats. Nombre de ces conquêtes sont passées dans la matière scénique. Incorporées plus ou moins adroitement à elle, telles réfor mes peuvent nous échapper. Il n'importe. Elles ont rénové la vie des planches. Ce n’était pas une émeute contre la tradition, c’était une révolution. Mais au prix de quelles déceptions, de quels déboires, de quels obstacles, An toine a réalisé un peu de son idéal l Les annalistes du théâtre verront surtout l'es sor des idées, les progrès techniques. Nous, nous voyons à travers ces « Mé moires >», frémissants de sa vie militante, l'âme d'un lutteur. Le Théâtre Libre, c’est pour tous une fière leçon de volonté. Nous revivons dans le livre ces heures de foi ardente, d’amour de l'art, de dé sintéressement... Antoine a été l’anima teur de toute une génération. Il aimait passionnément le théâtre jusque dans ses verrues, comme notre Montaigne aimait Paris. Et en dépit de la légende, il ai mait tous les membres de la grande fa mille des planches, comme il avait le culte des obligations du métier. Nous en trouvons môme un curieux exemple, daté de Bordeaux, dans ses « Mémoires » : «7 mai 1892. — De passage â Bor deaux pour quatre ou cinq jours, il vient de m'arriver une aventure effroyable. Noua devions jouer le soir au ThéâtreFrançâfs. La location était fort belle; et pour passer la journée j’avais eu l’impru dence de proposer à Schumann, notre imprésario, d'aller déjeuner à Arcachon; un train devait nous ramener à l’heure du spectacle. Je ne sais quelle fatalité m’ayant donné envie de faire un.tour de bateau, au moment où nous songions à regagner la côte, un calme plat fait tom ber la voile et nous lais* en panne. C'était le représentation du soir msnquée. Calculant que des deux ou trois personnes qui étaient là. l'étais seul indispensable au lever du rideau, j'ai piqué tout habillé une tête dans la mer, nagé trois ou quatre kilomètres, traversé au galop toute la...