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La Petite Gironde, 15 avril 1898

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La Petite Gironde
15 avril 1898


Extrait du journal

goût pour les batailles, Maihol accepte, à la condition toutefois que le combat n'au rait lieu que dans l’après-midi, le lende main, son goût ne l’ayant jamais porté à se lever avec l’aurore. Rendez-vous est pris pour quatre heures, dans un de ces petits bois qu’on appelle « ramiers » près de Blagnac, mervcillement déserts les jours de semaine. Les landaus légendaires ont déposé témoins et combattants. On choisit une allée large, que borde un taillis épais. Le sort, dont les complicités sont volon tiers plus intelligentes qu'on ne l’imagine, désigne Maihol pour diriger le combat. 11 met solennellement bout à bout les deux épées ; mais sans les quitter, c’est de la main gauche qu’il fait le signal tradition nel. et c'est en se retournant qu’il prononce le classique : « Allez, messieurs ! » Au même instant, et comme s'il venait de battre la mesure, de derrière le rideau de verdure éclatent les premières mesures de l’ouverture du Pré aux Clercs, et l’or chestre tout entier du théâtre du Capitole donne à toutes volées. Les adversaires se contemplent ahuris ; les témoins éclatent de rire. Le moyen de sc donner des coups d'épée en se tenant le ventre ? Toutes les mains se serrent. Et voilà comment, grâce à un fantaisiste, le divin pouvoir d’Orphée triompha, en plein dix-neuvième siècle, non plus de la méchanceté des fauves, mais des haines entre humains. Les heureux auteurs du Crime de Lorrnont, le triomphant drame du Théâtre des Arts, ne m’en voudront pas de leur ap prendre qu'avant eux, un homme fut aussi prophète dans son propre pays. Une bouffonnerie musicale de Maihol, qui en ava-t écrit à la fois la partition et le poème, fit florès au théâtre du Capitole, et y tint l'affiche, avec des intermittences, pendant vingt ans, successivement reprise, à la grande joie du public, par toutes les directions. Titre : Les deux Hommes d'ar mes. On y entendait entre autres choses ce propos étonnant tenu par un sapeur à un autre sapeur, devant la boutique d’un charcutier où tous les deux étaient en con templation devant un pied truffé : « Nous n'admirerons jamais assez la Nature qui fait revenir ce précieux tubercule dans le pied de l'animal qui l a trouvé. » Avouez qu’Hervé n'a rien écrit déplus parfaitement insensé. Tout était à l’avenant. Les deux Hommes d'armes rayonnèrent dans les théâtres circonvoisins. Un soir qu'on les représentait à Montauban, où ils devaient être joués immédiatement après un joli vaudeville à deux personnages très connu : Le Piano de Berthe, le directeur, qui avait trop bien diné, arrivant avant la fin du vaudeville, et trouvant déjà prête, dans la coulisse, toute la figuration des Deux Hommes d'armes, composée des sa peurs, de la garde nationale et de l'armée, leur cria intempestivement : « Qu’est-ce que vous attendez pour entrer, tas de pares seux ? » Les figurants, soldats de la garni son, habitués à obéir sans murmurer, envahissent la <.«,<>ne, malgré les protesta-, lions désespérées des deux comédiens qui achevaient leur duo sentimental, et se rangèrent devant la toile du fond, si bien que le Piano de Berthe s’acheva devant une armée de bonnets à poil... Le mieux est que personne ne sourcilla, et que le lendemain les journaux locaux, évidem ment stipendiés par l'imprésario, s'écriè rent, en tête du compte rendu delà soirée : Enfin, nous avons donc un directeur qui fait de la mise en scène ! » Comment ces souvenirs joyeux me re viennent-ils à propos d’une mort qui ne me laisse pas sans mélancolie > Car je le répète, celui dont je parle méritait qu’on l’aimât et qu'on l’admirât vraiment pour certaines qualités très hautes de son esprit et de son goût, pour son goût éperdu de l’art sous ses formes les plus variées, pour sa fidélité à la terre natale... Comme ils sont rares aujourd'hui ceux qui daignent se préoccuper délaisser, après eux,comme une trace riante de leur esprit, comme une semence de la gaîté et de la jeunesse obstinée qui germaient dans leur cerveau I J’en suis pourtant pour ce que j’ai dit sou vent : C’est un devoir social que d'appeler tous ceux qui nous entourent à la commu nion de nos joies. C'est une dignité souve raine dans la vie qu’enfermer dans une sorte de pudeur jalouse nos tristesses et nos soucis. Armand SILVESTRE....

À propos

Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.

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