Extrait du journal
« Les jeux interdits sont les suivants : BaQe, toupie, sabot, diabolo, hirondelle, sauf de mouton, glissade, traîneau, épervier, cocorico, cavalier, jeu de tampon, brouette, chaîne, roue et pieds au mur, équilibre, roi détrôné, chat perché, sac de farine, la cloche, lance-pierre. » Je confesse que je n’avais pas prêté gran de attention à cet incident. Je ne pensais pas qu’il dût avoir une portée générale, et je pensais que la règle, établie à Paris par des hommes trop sévères, s’atténuerait en rayonnant et qu’en province il y aurait avec elle des accommodements. Or, il pa raît qu’il n’y en a point, et que eette interdiction des jeux dits « violents » est la même partout, et que n’en sort pas même exempts les établissements où le personnel directorial a donné les preuves les plus notoires d’intelligenoe et de modernisme au bon sens du mot. Notre petit lycée de Talence lui-même, si justement en faveur auprès des parents soucieux de la culture physique de leurs enfants en même temps que de leur culture intellectuelle et mo rale, a souffert des atteintes de la règle uni versitaire nouvellement établie, si j’en crois une communication qui vient de me parve nir et que je vais reproduire textuellement, en laissant à son auteur la responsabilité des affirmations qu’il avance, mais en. m’associant de bon cœur à ses conclusions, si tant est que ses prémisses soient exac tes. «Pères et mères qui avez conduit vos fils au lycée de Talence, dites-moi si, en visi tant ce bel établissement, il s’en est trouvé un seul parmi vous qui n’ait fait cette réflexion : « Ici, au moins, on a de l’air et » de l’espace ; nos enfants ne seront pas » enfermés entre quatre murs ; ils pourront » courir, sauter, s’ébattre, redresser leur » échine courbée, se faire des muscles et de » la santé 1 » » Et cette perspective vous comblait de {'oie. Retournez aujourd’hui à Talence, aux icures de récréation, que verrez-vous ? Des enfants bien sages et bien tranquilles, qui se promènent dans une cour; d’autres jouent aux billes, et c’est tout. Il leur est, parait-il, absolument interdit de courir t » Vous vous indignez avec moi^ n’e^t-ce pas ? Et vous vous écriez : « La voilà bien, » la vieille routine de nos universitaires ! » C’était vraiment bien la peine de nous » vanter les progrès de l’éducation moderne, » de nous faire croire que nos écoliers n’au» raient plus rien à envier à leurs camara» des anglo-saxons, etc. 1 » » Or, les universitaires opposent à ces reproches une réplique qui ne manque pas de solidité : «Vous admettez, n’est-ce pas, Monsieur » ou Madame, qu’en courant, en se bouswculant, nos élèves peuvent tomber, subir » un choc dangereux ; la mauvaise chance » peut faire qu’ils se cassent un bras ou une » jambe ; qu’ils se foulent un pied ou un » poignet. Qu'arrivera-t-il, ce jour-là ? On » entendra des cris, des lamentations : Ces » enfants, direz-vous, ne sont pas surveillée. » A quoi pensent leurs maîtres? Et vous » citerez ces maîtres devant les tribunaux, » qui les condamneront. Alors, c’est bien » simple, nous disons à vos enfants : Soyez » bien calmes, mes petits amis ; ne courez » pas, ne vous excitez pas, car vous pour» riez vous faire du mal, et moi j’aurais des » ennuis. » » Et voilà pourquoi les récréations, au lycée de ^Talence, ressemblent tant aux ré créations de nos pères et. de nos grandspères. » A qui la faute ? Je dis, moi, que la faute en est : » Ie Aux parents qui portent plainte ; » a0 Aux tribunaux qui condamnent; » 3e A l’Université, qui trouve commode de s’affranchir de toute responsabilité. » Qui nous tirera de là ? » Je suis, au fond, de l’avis de mon cor respondant. La faute, en cette affaire, in combe un peu à tout le monde, et il serait bien difficile de trouver au mal qu’il si gnale un remède radical. Un article du Code civil, datant de 1807, menace professeurs et instituteurs en cas d’accidents arrivés aux élèves^ d’une res ponsabilité civile qui les effraie, non sans raison, car les tribunaux, ainsi que nos confrères parisiens l’ont expliqué, ont fréJuemmeut déclaré recevables des plaintes éposées directement contre l’instituteur ou le professeur, et non contre l’Etat, et l’Etat lui-même, s’il est mis en cause, peut tou{'ours se retourner contre eux et mettre à eur charge par un nouveau procès les dom mages accordés par le tribunal et les frais de la double procédure. Et la présomption de faute subsiste dans la loi, c’est-à-dire que c’est le maître qui doit prouver qu’il n’est pas çn faute, et non la partie plaignante qui doit établir qu’il y a eu faute de la part du maître. Il est évident, pour moi, qu'il y a, dans la situation actuelle, un peu de mauvaise humeur des maîtres contre les parents, trop disposés à porter plainte, et contre l’Etat, qui les livre sans défense aux rigueurs des tribunaux. Un peu plus de crânerie à accep ter les responsabilité» ne messicrait pas aux (éducateurs de la jeunesse ; mais l’Etat n’est-il pas coupable, lui aussi, de laisser porter sur eux une responsabilité qu’il de vrait assumer ? Pour nous tirer de là, comme "dit mon correspondant, il me semble qu’il suffirait que l’Etat pût être mis en cause dans les actions en dommages-intérêts intentées par les parents à propos d’accidents survenus aux élèves, et que l’Etat n’eût d’autre re cours contre les maîtres que le recours ad ministratif. L’Etat n’a-t-il pas le droit de révoquer et d’interdire un instituteur ou un professeur pour des faits graves ? 11 me semble bien que cela devrait suffire. Si une disposition légale dans ce sens était appliquée, je pense qu’on pourrait voir refleurir, à notre petit lycée de Talence comme ailleurs, les jeux où l’on court et où l’on saute, et même ceux où l’on met...
À propos
Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.
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