Extrait du journal

La police, ces jours-ci, a mis la main sur des escrocs d’un genre particulier, exploitant la facilité que les rastaquouères de tout poil trou vent toujours auprès des commerçants fran çais. Nous avons eu de la sorte deux aventures très analogues et très piquantes toutes les deux. La première est celle d’un certain Colin (je crois que c’est le nom peu aristocratique de l’aventurier), qui avait imaginé de se faire passer poulr un pacha, général dans Varmce tur que. Ce faux pacha avait trouvé moyen de se faire remettre par un négociant de Paris des bijoux d’une assez grande valeur, qu’il s’était chargé de revendre. Malgré l’extraordinaire fantaisie qu’il y avait à voir un géncral pacha se transformer en un simple courtier, le truc avait réussi. Il va de soi que le pacha mettait les bijoux au Mont-de-Piétc et en employait le produit à faire le pacha à Paris d’une façon qui n’avait rien d’oriental. Mais cette aventure n’est rien à côté de l’odyssée d’un autre aventurier dont le nom est encore inconnu et qui travaillait sous celui du marquis Alexandre de Schernadieff. Cet ingénieux filou, qui paraît être un étranger, opérait dans des pays divers et mêlait à ses opérations un peu de politique internationale. Il se servait des alliances pour faire plus faci lement des dupes. En Italie, par exemple, il se donnait pour un prince allemand, puisque les Tedeschi sont aujourd’hui les protecteurs du peuple qu’ils ont longtemps opprimé. En Russie, l’escroc avjit pris la figure d’un noble Français et laissait entrevoir que son voyage pouvait avoir une portée diplomatique. En France, enfin, il s’était naturellement trans formé en Russe. Schernadieff agissait avec une grande habi leté. De temps en temps il disparaissait et se faisait oublier: puis on le voyait revenir et il opérait dans un nouveau milieu auquel il était encore étranger. Néanmoins il avait une pré dilection pour Paris. 11 y a deux ans, il s’était installé dans une belle villa à Asnières. Depuis un an, il occupait un bel appartement boule vard Perdre, où il avait voiture, chevaux, valets de pied. Cet appartement était, d’ailleurs, au nom de M. de Sampanello, un Italien qui passait pour son secrétaire. Touchante atten tion pour nous, espoir d’un rapprochement avec l’Italie? Un commissaire de police est venu brutalement interrompre la belle vie du noble boyard. Mais elle avait duré pendant plusieurs années et l’escroc avait pu faire assez de dupes pour mener un train quasiment princier. Ces dupes sont nombreuses, apparte nant toutes au commerce de Paris. 11 avait cependant travaillé aussi en province et parti culièrement dans les villes d’eaux. Mais en province le commerce est assez prudent. Les marchands ont des clientèles fixes de gens qu’ils connaissent et ne sont pas curieux de livrer leur bonne marchandise à des étrangers n’ayant que des domiciles temporaires et pou vant disparaître au premier moment. Mais le commerce de Paris a des habitudes tout à fait differentes. Ces habitudes sont détestables, à ce point que lorsque des filous ou des rastaquouères font des dupes, il est presque légitimé, tout en jugeant sévèrement les escrocs, de ne pas s’apitoyer outre mesure sur leurs victimes. Celles-ci, en effet, montrent une naïveté sotte, une superstition niaise envers les hommes qui s’affublent de titres retentissants et se pana chent de décorations exotiques. Cette supers...