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La Petite République, 1 septembre 1904

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La Petite République
1 septembre 1904


Extrait du journal

Je vais mourir un peu jeune, dit Mauchar l’assassin, mais là, vraiment, j’ai eu du plaisir dans l’existence. Depuis douze ans, je rôtis le balai aux frais des bour geois, et puis j’aime ma profession. Un beau vol, un assassinat proprement exé cuté, il n’y a encore rien de tel pour vous mettre le cœur en goguette. Et je te vous en ai envoyé des types dans l’autre monde avec mon marteau et mon nœud coulant ! Car, sauf quelques cas qui se présentaient par la gauche, j’ai toujours eu une préfé rence pour ces jolis oulils-là. Un maître coup sur le crâne, une bonne prise par la corde, ça vous a je ne sais quoi de farce et de solide qu’on ne peut demander ni à cet aboycur de revolver, ni à ce sacré mou chard de surin. Sans blague, monsieur, j’ai défoncé une dizaine de cervelles et ôté le souffle à presque autant de garguettes... Mais dans toute ma carrière, je ne crois pas avoir éprouvé une satisfaction semblable à celle de ce soir de décembre où j’ai fait déguerpir l’âme du curé de Rosay-le-Garrelou. C’est un gros village, là-bas sur la Saône, un peu à l’écart. Le presbytère, une bonne maison de pierres bleues, s’enfonce dans un jardin, bien caché par des mu railles et à quelque distance des autres mai sons. Je m’y arrêtai par pur hasard, un soir qu’il me restait tout juste une pièce de vingt sous au fond de la poche. Tout était blanc et gelé, monsieui — la route, les pierres et les arbres — et il soufflait un petit vent du nord si dur que les gens ne se risquaient pas hors de leurs cuisines. Le presbytère avait de bonnes fenêtres jau nes de lumière, et lorsque j’y fis mon en trée, je ne savais pas encore très bien si j’allais risquer un coup ou demander l’au mône. L’absence de chien commença de me faire pousser des projets — puis, la vue du curé, à travers le tulle d’un rideau, du curé tout seul à sa table — et finale ment le fait que la servante, probablement un peu source, ne tourna pas même la tête lorsque je poussai la porte de la cui sine. Vrai, monsieur, elle ne pouvait pas mieux se présenter. Elle venait de mettre le café dans la cafetière ; elle était penchée, la tête en bonne lumière, à vous mettre l’eau à la bouche. J’avais déjà le marteau à la main. Ouf 1 je le lève et ouf ! je l’a bats ! Ce fut vraiment un coup magnifique. Le crâne était fendu comme un pot ; la cervelle et le sang coulèrent tout de suite ; la cuisinière tomba d’un bloc* sans faire plus de bruit que si elle avait fait une cou ple de pas sur le carreau. J’eus alors le sentiment que j’étais maître de la situa tion (je suis un homme de flair). Pourtant, j’attendis un moment, je dressai l’oreille, je jetai un regard sur le jardin. Rien ne bougeait, sinon le couteau ou la cuillère du curé dont j’entendais le bruit sur la faïence... « Ça va marcher ! » me dis-je. Je déposai le marteau, pris mon nœud coulant et, d’un geste vif, un geste sans bavures, j’ouvris la porte de la salle à manger qui voisinait avec la cuisine....

À propos

La Petite République française – puis socialiste de 1898 à 1905 – fut une feuille républicaine à cinq centimes lancée en 1876 qui connut un succès relatif dans les premières années de la Troisième République. Satellite de La République française de Gambetta, les deux publications deviennent indépendantes en 1878 avant que la diffusion du journal ne s’amenuise à la mort de ce dernier en 1882.

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