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La Petite République, 2 février 1899

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La Petite République
2 février 1899


Extrait du journal

encore incertaine et détournée mais qui se précisera, coiximence à évoquer devant lui l’affaire Dreyfus elle-même. De plus, M. Dupuy a bien été obligé de promettre que tous les témoignages re cueillis par la Chambre criminelle se raient imprimés. Ils seront publiés, et ainsi ce n’est plus au profit de la Cour de cassation, c’est au profit de l’opinion publique que la Chambre criminelle sera dessaisie. En frappant de suspicion la Chambre criminelle, le gouvernement frappe de suspicion toute la Cour, car pourquoi ferait-on crédit aux uns plutôt qu’aux autres? Tous les pouvoirs légaux étant ainsi abaissés, la justice légale étant discréditée et abolie, il ne restera plus qu'un pouvoir, le pays lui-même. Le Parlement, en discréditant offi ciellement les juges, en leur arrachant le droit qu’ils tenaient de la loi, se subs titue en réalité aux juges. Il assume donc lui-même la tâche déjuger. Entré dans cette voie, il sera contraint d’aller jusqu’au bout ; il faudra qu’il connaisse toutes les pièces, qu’il détermine toutes les responsabilités. • Dès maintenant, l’affaire Dreyfus devient, de façon directe, immédiate, une question politique et sociale. La question, refoulée par les violences réactionnaires au cœur même du pou voir, devient pour la France et la Ré publique une question de vie ou de mort. Je l’avoue : nous n’aurions pas osé prendre la responsabilité d’une telle crise. Mais puisque ce sont nos enne mis mêmes qui la provoquent, nous sommes prêts. C’est entendu : il n’y a plus de juges. Et c’est la conscience nationale qui devra elle-même choisir entre la vérité et le mensonge. Or, nous savons bien quelles sont les immenses ressources de mensonge dont dispose l’ennemi. Mais nous "savons aussi que la vérité a une puissance in calculable. Et tous les bons citoyens, tous les républicains seront obligés, pour ne pas périr, à faire connaître au pays la vérité, à lui dévoiler tous les crimes de l’Etat-Major. Que ceux qui commençaient à se lasser se redressent. Il ne dépend ni d’eux ni de nous d’écarter la question ou d’abféger le combat. Chaque jour la crise devient plus profonde et plus vaste. Elle a en glouti toute justice régulière. Et le pays républicain n’ajrant plus de point d'appui légal, puisque les gouvernants le brisent, est obligé de se sauver luimême. S’il est capable de ce grand effort, jamais crise nationale n’aura été plus salutaire. Qu’on ne croie pas qu’il y a là une exagération, un entraînement de parole. L’affaire Dreyfus est jetée par les gou vernants hors des voies régulières: elle n’v rentrera plus. Pour plaire aux na tionalistes, on humilie devant eux la Chambre criminelle, et en celle-ci, quoi qu’on fasse, toute la Cour de cassation. Mais s’imagine-t-on que la juridiction des conseils de guerre, après l’affaire Dreyfus, après le procès Esterhazy, ait gardé la moindre autorité morale ? Avec la politique gouvernementale, il n’y a plus une seule institution judi ciaire qui puisse porter le fardeau du procès. Le Parlement, qui s’y engage à la suite du gouvernement, sera obligé d’aller jusqu’au bout. Déjà, les notes d’hier soir indiquent que dans l’en quête Mazeau il y a des points relatifs aux pièces secrètes. Voilà donc le fa meux dossier secret dont le Parlement se saisit par un bout. Et finalement, c’est devant une grande Commission parlementaire que sera évoqué tout le procès : l’engrenage fonctionnera avec une force irrésistible. Ainsi apparaîtra, bien à découvert, le caractère politique et social de la lutte. Eh bien ! de cette bataille nous n’avdîis pas peur, car le Parlement ne pourra se saisir sans saisir le pays, et quelles que soient les intrigues et les lâchetés des dirigeants, nous ne redou tons rien si le débat est public. Pour nous la lumière, c’est la victoire. JEAN JAURÈS....

À propos

La Petite République française – puis socialiste de 1898 à 1905 – fut une feuille républicaine à cinq centimes lancée en 1876 qui connut un succès relatif dans les premières années de la Troisième République. Satellite de La République française de Gambetta, les deux publications deviennent indépendantes en 1878 avant que la diffusion du journal ne s’amenuise à la mort de ce dernier en 1882.

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