Extrait du journal

Une ville d’usines n’est jamais-gaie,mais une ville de charbonnages est "houjours triste. Cette matinée-là, Saint-X... était lugubre. Dans les cités ouvrières, désertes, aucun bruit, si ce n’est de loin en loin une vague plainte, un douloureux murmure. Aux fe nêtres, les rideaux fripés, salis, tombaient tristement en plis droits, sans qu’une main curieuse les soulevât de temps en temps, sans qu’une figure jeune m» vieille s’appuyât aux vitres pour joute du banaispectacle de la rue aux pavés noircis. Seuls, les infirmes, les malades sont restés dans les pauvres maisons si lamen tables, si lépreuses, empoussièrées du charbon envolé, en fine poudre, des hautes cheminées. Les hautes cheminées qui dressent vers le ciel leur long tube de brique noircie. Mais aucune fumée ne s’en échappe. Les usines chôment et la ville semble morte. Dans les vues, personne. Sur les seuils des cabarets, personne. Le silence absolu, terrible, sournois, le si lence qui précède un coup de canon attendu, pressenti. Brusquement éclatent les sonneries funèbres. Les portes de l’église, là-haut, sur la côte, s'ouvrent toutes grandes, et, misérablement drapés de noir, les cercueils descendent, portés à bras. Sur le ciel clair d’avril où elie se dé coupe vigoureusement, la pauvre église toute déjetée par l’affaissement d-ti terrain miné, semble une fabrique de cadavres. Par son portail béant, noir trou d’ombre, ils sont rejetés, un à un .méthodiquement, à intervalles égaux, comme les produits régulièrement parachevés, d’une funèbre industrie, automatique, fatale. Longue théorie serpentante au gré du sentier qui dévale brutalement sur la ville, les cercueils cheminent. Ils forment les anneaux d'une mons trueuse larve qui rampe lentement avec mille ondulations, entraînant à sa suite une foule qu’elle commande. Le cortège, dans les rues étroites, res serrées, déroulé son long ruban noir. Magasins, boutiques, cafés, cchopes, tout est fermé sur son passage. Dans la foule massée sur le funèbre parcours, une ru meur désolée monte vers le ciel en un sanglot unique fait des sanglots de toute une ville. A l’angle de la rue principale et de la voie qui traverse les casernes d’ouvriers, le cortège fait halte. Les por teurs changent de côté et, doucement re levés, les cercueils, trop grands pour les pauvres cadavres calcinés par le grisou, reprennent leur route, vers le nouveau cimetière, tout au bout de la ville. Muet tes, les façades des corons semblent mor tes. Brusquement une fenêtre s’ouvre et une tête de vieillard apparail dans le rec tangle sombre qui troue la blancheur sale de la maison morne. **# Tant que dura le défilé, le vieillard resta à sa fenêtre, tête nue. Le chagrin qui convulsait les faces, faisait éclater en plaintes sourdes les hommes et en san glots aigus et prolongés les femmes, ne semblait pas avoir prise sur le père Morel. Pas un tressaillement n’agitait sa figure tannée par cinquante ans de labeur au sein de la mine. Seuls deux petits plis profonds aux coins des lèvres en disent long sur l’amertume que décèle une bou che aux lèvres minces, comme crispée sous l’effort des sanglots à grand’ peine retenus. Pauvre vieux dans quel abîme de désespoir n’as-tu pas roulé pour qu’un éclair d’envie traverse tes yeux vidés par. les pleurs ù la vue du funèbre convoi? Tu fermes ta fenêtre, et tu murmures dans les larmes : « Ils sont encore heureux, puisqu'ils les ont revus. 0 Le sien, son fils unique, son Chartes aimé :1a mine l’a gardé, pouc...