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La Petite République, 24 janvier 1903

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La Petite République
24 janvier 1903


Extrait du journal

En Bretagne Lallorueàuxteulsd’or « Toujours à pis ». — Comment onjiêche la sardine. — Première cause de la misère : ce que coûte la « rogue ». — Les spécu lateurs et le curé de Penmarch (De notre envoyé spécial) Quimper, 21 janvier. « Protégeons la sardine », dit M. Albert de Monaco. A mon sens, il n’est pas moins conve nable de protéger les sardiniers. Les sardiniers? Bien entendu, il ne s’agit pas de ceux qui « fabriquent » la sardine, — c’est-à-dire les grands industriels dont je n’ai pas besoin de vous remémorer les noms ; 11 s’agit de ceux qui la pêchent, la préparent et la mettent en boite, — c’est-à-dire les cent mille prolétaires des deux sexes dont la con dition matérielle et morale se résume dans la devise : « Toujours à pis. » Pour vous intéresser à leur sort, je ne répé terai pas que la question de la sardine est une question nationale. C’est mieux que cela, puisque la concurrence espagnole et portuSaise devient tous les jours plus menaçante, e ne vous dirai pas non plus que si vous mangez quelquefois des sardines (et vous en mangez souvent), il ne vous est pas inutile de savoir comment elles sont venues de l’Océan dans votre assiette,et pourquoi vous les payez trois ou quatre fois plus cher qu’elles ne va lent. Aux lecteurs de la Petite République, il me suffira de rappeler que tous les problèmes économiques sont solidaires, et que les intérêts de tous les prolétaires sont identiques. Vous en jugerez une fois de plus par cet exemple. J’espère vous convaincre, par mes conclusions, qu’il ne doit laisser aucun socialiste indiffé rent... *% Savez-vous comment on pêche la sardine ? On a fait de sa capture les plus jolies nar rations. Je m’en tiens à l’essentiel. Les ma rins développent à l’arrière de la barque le filet bleu que je vous décrivais l’autre jour ; il a de quinze à trente mètres de long sur qua tre à huit mètres de large. En haut, des mor ceaux de liège; en bas des morceaux de plomb ou des pierres. Le filet se tient donc verticalement entre deux eaux, comme un treillage. A droite et à gauche du treillage, le patron de la barque jette l’appât, la rogue. Alors, quand elle est bien disposée, la sardine « tra vaille », c’est-à-dire qu’elle se précipite assez bêtement sur le filet ; et comme le pêcheur expert a eu l’attention délicate d’en propor tionner les mailles à la grosseur de sa tête, elle se trouve prise par les ouïes. Il n’y a plus qu’à la détacher en secouant le filet dans la barque. Comme vous voyez, c’est très simple. Peut-être trop simple. Nous reviendrons avec quelque détail sur cette question des engins. Parlons d’abord de la rogue. La « rogue », ce sont des œufs de morue. La meilleure est préparée à Bergen, en Nor vège. C’est de la que nos pêcheurs la font venir. Cet appât coûte aussi cher qu’il sent mauvais, et je vous jure que ce n’est pas peu dire. Mais, parait-il, la sardine n’aime que ça : elle n’ést vraiment pas dégoûtée. Cette chose abominable est hors de prix. Naguère, le baril de rogue valait une quaran taine de francs ; à cette heure, il en vaut cent quarante. Pour la même somme, on au rait une barrique du meilleur vin ; mais la sardine préfère les intestins et les ovaires de sa camarade la morue, quand ils sont congrument putréfiés. Des goûts et des couleurs... On a pourtant prétendu discuter ce goût défiravé de la sardine. Un chimiste ingénieux ui a proposé de la rogue artificielle, faite avec du tourteau d’arachides. Mais la sardine n’a rien voulu savoir. De même, on essaya de lui faire manger sa propre tête. Oui, quelqu’un imagina de re cueillir les têtes de sardines, que l’on coupe avant de cuire le poisson. Il concassa, pila, pressa ces déchets et les fit bouillir. Si ce nouvel appât valait la rogue, c’était une éco nomie considérable. Par malheur, les sardines ne sont pas comme les hommes : on dut bien tôt reconnaître qu’elles ne se mangent pas entre elles. Il y a bien une rogue américaine qui coûte cinq ou six fois moins cher que l’autre. Il y a aussi une rogue française, rapportée par nos morutiers de Terre-Neuve et d’Islande. Mais elles sont de qualité inférieure, et la sardine exige impérieusement que sa friandise soit confectionnée par les spécialistes de Bergen. Pour la rogue , les anchois et le drame sym boliste, les Norvégiens détiennent le record. Résultat : la rogue atteint des prix exor bitants. Et songez qu’on en consomme plus de quinze mille barils, rien qu’à Douarnenez. Au cours delà saison, un seul bateau en use au moins vingt barils. « S’il faut 12 francs de rogue pour prendre 10,000 sardines à 3 francs le mille, écrivait, il y a quatre ans, Rémy Saint-Maurice, on voit ce qui reste au patron pour l’amortissement de la barque et des filets. » Le produit de la vente est partagé d’ordinaire en deux parts égales : l’une pour le bateau, l’autre pour l’équipage (cinq hom mes et le patron). Dans le cas indiqué par notre confrère, il ne reste donc que 3 francs pour couvrir les frais du gréement et des en gins. Du moins, dans ces conditions, le pêcheur y trouve à peu près son compte. Mais si la sardine est abondante sur le marché, elle tombe à vil prix. On l’a vue à un franc et même à cinquante centimes le mille. Au con traire, si la sardine fait défaut, le patron jette douze ou quinze francs à la mer. Dans les deux cas, c’est la ruine. Voilà l’une des raisons — ce n’est pas la seule — de la misère sur la côte. Autrefois, le patron d'une barque pouvait gagner quinze cents francs net par saison, en pêchant moins de sardines. Aujourd’hui, même s’il rapporte une quantité de poissons triple et même qua druple, il lui arrive souvent de se trouver en déficit. Quant aux hommes d’équipage, nous dit encore M. de Saint-Maurice, les plus heu reux gagnent à peine « quatre cents francs en cinq mois de fatigues et de privations ». Or, notre confrère a pris ces notes en 1898, c’està-dire dans une bonne année. Avais-je tort d’affirmer qu’en tout temps les pêcheurs dû sardines mènent une existence précaire? La cherté croissante de la rogue, telle est le première cause du mal. Comment y remédier ? Peut-être serait-il assez facile de perfection ner la préparation delà rogue française. Pour tant, même si l'on y parvient,! on ne sait trop s’il en résulterait un sensible abaissement de...

À propos

La Petite République française – puis socialiste de 1898 à 1905 – fut une feuille républicaine à cinq centimes lancée en 1876 qui connut un succès relatif dans les premières années de la Troisième République. Satellite de La République française de Gambetta, les deux publications deviennent indépendantes en 1878 avant que la diffusion du journal ne s’amenuise à la mort de ce dernier en 1882.

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