Extrait du journal

Entre un facétieux qu’on exécute et un dictateur qu’on divinise, il n’y a au départ que la différence de l’échec à la réussite. La même confiance en soi, le même mépris des contingences, la même volonté d'ignorer les obstacles ou la même incapacité à les concevoir, font que ceux qui suivent de loin ces chutes ou ces ascensions crient à la folie tant qu’elles s’élaborent et s’émerveillent sans mesure le jour qu’elles ont abouti. Mais ce que ne remarquent pas assez peut-être certains aspirants dictateurs, c’est la part que jouent dans ces drames les éléments psychiques qu’il y faut d'abord réunir : une sorte de dynamisme personnel, qu'il soit instinctif ou acquis par une longue suggestion de l’opinion ; un bouleversement intense des conditions de vie normale dans les pays où la dictature tente la conquête du pouvoir ; le consentement tacite enfin, à défaut de la complicité ouverte, du régime qui va disparaître. Faute d’avoir obtenu, à dix voix près, ce troisième atout, le « brave général Boulanger » ne fut plus qu’un fantoche ridicule. Rien n’établit cependant qu’il ait eu au départ moins de génie que tel ou tel en passe de devenir, peut-être après tout légitimement, un demi-dieu....