Extrait du journal
Paris, 27 novembre 1885. Autrefois on se retirait; maintenant on évacue. Ce qu’il en coûtera au roi Milan, c’est, dit-on, sa couronne; ce qu’il en coûtera à la Serbie, c’est une profonde déchéance matérielle et morale. Encore la Bulgarie n’a-t-elle pas été évacuée volontairement, pas plus que le Soudan par les Anglais. Ceux-ci, impuissants contre les sables du désert, la violence du climat, les troupes toujours grossissantes du Madhi, se sont repliés, mais en se gardant bien d’annoncer qu’ils évacuaient. Ils allaient même, disaient-ils, construire un chemin de fer partant de Souakim, afin de reprendre plus efficacement les hostilités à la saison suivante. Ce qui serait bien nouveau, ce seraient des vainqueurs évacuant purement et simplement et, de plus, l’annonçant, le criant sur les toits. Tout le monde sait, ou du moins tout le monde devrait savoir que la retraite est une opération beaucoup plus difficile, plus compliquée, plus aventureuse même en un sens qu’une marche en avant. Quand on avance, on peut accorder quelque chose à la témérité; quand on recule, tout doit être calculé et combiné avec la plus extrême précision, car le moindre incident entrains tout, et chaque pas en arrière décuple le nombre et le courage des ennemis. Pour faire une retraite honorable, il faut encore savoir entre quelles mains on laisse le pays. En 187Zi, le retour de notre petite expédition a provoqué le massacre de 35 000 Tonkinois e Annamites qui avaient cru à notre protection. Il y a, dit-on, dans ce pays, 300 000 chrétiens indigènes : les dévouera-t-on à un épouvantable carnage? Et où la France pourra-t-elle tenir coup s’il est établi que quand elle a fait d’énormes dépenses d’hommes et d’argent, et quand elle a été victorieuse, et quand il s’agit de retenir quelque chose, de tirer quelque parti de tant de sacrifices, elle n’a plus qu’une idée : se précipiter dans la retraite et lâcher tout. Défaillance et humiliation, oui; mais il faudrait ajouter : désastre....
À propos
Fondée en 1871, La Revue politique et littéraire est un hebdomadaire culturel très populaire, aussi connu sous le nom Revue bleue. Elle obtient ce surnom grâce à son papier bleu et par opposition à la Revue scientifique du même éditeur, appelé Revue rose. Très varié dans son contenu, le titre est aussi dérivé dans son format de la Revue des Cours littéraires, qui publiait les cours du Collège de France.
En savoir plus Données de classification - bulgarie
- serbie
- paris
- france
- soudan