Extrait du journal

M. I^efilèvre. Grand, maigre, sec, d’un tempérament nerveux et un peu bilieux peut-être, M. Lelièvre fait tout d’abord l’effet d’un adversaire des plus désagréables; mais c’est un ami excellent. De tous les députés du Jura, il est celui sur la physionomie duquel se révèle le plus nettement cet instinct de combativité que Sainte-Beuve a noté chez Proudhonet et qui n’est pas rare chez les Francs - Comtois. Il y a quelque chose d’agressif dans la personne de M. Lelièvre, à qui ce nom timide convient assez mal. Il est grand chasseur devant l’Eternel, et quand il était receveur de l’Enregistrement dans les montagnes du Jura, il abattait force gibier. Lorsqu’il eût quitté l’administration, il se fit inscrire au barreau de Lons-le-Saulnier et dans l’avocat se retrouve l'ancien chasseur, dont le coup de langue se fit redouter autant qu’autrefois le coup de fusil. Dans la vie politique, où il est entré récemment, M. Lelièvre porte les mêmes qualités. A peine arrivé à Versailles, il se mit à la piste des abus que les années passées dans l’administration lui avaientfait soupçonner, et il mena cette chasse grand train. Sa parole facile et mordante, sa hardiesse, sa vigueur, sa netteté lui attirèrent l’attention du premier coup. Sa place est marquée dès maintenant parmi les orateurs d’affaires, les financiers de la Chambre future, et le fougueux colonel Langlois, gardien vigilant et incorruptible du budget, sourit avec indulgence à ce nouveauvenu, qui lui promet une recrue de premier choix....