Extrait du journal

Néanmoins, avant cela il y eut les Poèmes modernes, dont le principal est Angélus, où sonne une note nouvelle d’une tristesse pénétrante, où l’on trouve cette impression si navrante d’un port de mer en hiver, avec des glas funèbres, des hurlements de vent et d’eau en furie, où enfin, se découvrent quelques-unes des émotions de l’enfance maladive et rêveuse de l’auteur. Voici, maintenant, sur ce banc, aux derniers rayons du jour, un soldat nouveau et une jeune servante, tout rougissants, les mains unies, qui s’attardent en rêvant au pays, tandis que la retraite s’éteint au loin; puis ce sont les enfants trouvées, tristes et laides, qui passent dans la poussière dorez du soir, et tous ces « humbles, » la nourrice, cette pauvre mère, victime d’un faraud villageois, qui voit mourir loin d'elle son propre enfant, sans pouvoir conserver la vie au rejeton parisien mal né quelle allaite; le petit épicier de Montrouge auprès de sa femme stérile et froide, aux doigts crevassés, cassant son sucre avec rage ou avec résignation, au milieu de ses chandelles, de ses pruneaux et de sa morue, qui s étalent, provoquant, à la rime; la petite fille en deuil qui mouche sa sœur à l’entrée de Lécole primaire; le bon fils, ce prix d honneur triste employé de ministère, musicien, le soir, dans un café-concert de la rue de la Gaîté ; les émigrants, pâles et inquiets, sous l’immense voûte de fonte de la gare, où mugissent les locomotives à l'œil rouge ; tous ces spectacles et ces drames des faubourgs parisiens : les noces ouvrières du samedi, la poupée décolletée en cire jaunie du coiffeur de banlieue, devant laquelle s’arrête, rêveur, le grand collégien excité, la vie domine. cale des petits bourgeois retirés près des fortifications, le cimetière où s’oublie un joyeux commissaire des morts, qui cueille « de ses doigts noirs, gantés de filoselle, des bouquets pour sa dame et pour sa demoiselle, » le tranquille logis du garde barrière, qui tremble au passage furieux du train, tandis que l’enfant joue sur le seuil. Que de croquis fins et charmants dans ces trois volumes : Poèmes modernes, — les Humbles, — le Cahier rouge....