Extrait du journal
Mon tour arriva de me présenter. M. le Directeur, après m'avoir souhaité la bien venue et avoir loué mon attachement à la maison hospitalière, donna lecture de la lettre du ministère, par laquelle j'eus la confirmation officielle des bonnes disposi tions de ces Messieurs de Strasbourg à mon égard. Comme je l'ai déjà écrit, tout ce que j'avais demandé en fait de faveurs me fut purement et simplement refusé. Ces Messieurs se consultèrent ensuite au sujet de l'occupation à me donner. On trouva que le temps que j'avais à passer en prison ne suffisait pas pour m’initier convenablement au métier des tailleurs, de même l’honorable profession de cor donnier exigeait un apprentissage d'un certain temps, alors on se décida à me faire coller des cornets. Je m’en vais alors, la mine plutôt lon gue et, reprenant ma place dans le rang, j’ernboite le pas aux compagnons de dé tention, sur le commandement du gardien qui nous escorte, et à travers les longs corridors nus et tristes je réintègre mon logement. Lue demi-heure après j etais armé d’un pinceau, j’avais devant moi la colle nécessaire et un monceau de beau papier rose, qu'il s'agissait de transformer en cornets. Cinq minutes suffirent pour m’initier à l'art de coller des cornets. On m'annonça en même temps que le pen sum de l’ouvrier était de 1.500 cornets par jour. Dans cette matinée, j'eus encore à pas ser la visite du médecin, j'y tus accueilli avec une vraie bienveillance — Monsieur le docteur est Alsacien — et il m'accorda de suite la pension des malades. Ne croyez pas que cela ne sente pas la prison. La différence, appréciable pourtant pour un pauvre bougre comme moi, consiste à re cevoir du pain blanc au lieu de pain noir, le matin, au lieu de la soupe, un breuvage ayant nom de café, à midi, une soupe un peu meilleure et en surcroît un morceau de bœuf bouilli, qu’on peut assaisonner de sel — qui est à discrétion, ainsi que l'eau fraîche — ou d’appétit, ou d’un grain de philosophie. C'est à la dernière façon que je donnais la préférence. Après que ces formalités furent rem plies, je me mis au travail. Il s'agissait de gagner, en bon ouvrier, les 15 pf. par jour, que la prison alloue aux condamnés comme paye journalière. Le métier de colleur de cornets n'exige guère d'efforts intellectuels et, tout en l’exerçant consciencieusement, on pour rait laisser libre cours à ses pensées et réflexions, si l’on n'était pas en prison. 11 est très caractéristique que cet état de contrainte physique, cette privation de liberté, ce sentiment de se sentir enfermé entre quatre murs, influence les facultés de l’esprit. Les pensées semblent se heur ter aux barreaux de la lucarne, elles sont opprimées par le manque d'air et elles su bissent la même contrainte que le corps, auquel la liberté des- mouvements fait défaut. Certes, les circonstances inatten dues, qui déprimèrent le début de mon installation, ne purent que contribuer à me mettre dans un état voisinant à une apathie intellectuelle. J’eus néanmoins encore assez de capa cités morales de reste pour réfléchir à ma situation. En résumant ma position, j'ar rivais pourtant à me convaincre qu'en somme c'est moi qui allais jouer le beau...
À propos
Fondé en 1911, quarante ans après la guerre franco-prussienne de 1870, L'Alsacien-Lorrain de Paris est un journal destiné principalement aux alsaciens émigrés à Paris à la suite de la guerre franco-prussienne. Sous la direction de Florent Matter, le journal met en avant actions et propos pour une réintégration de la région au sein du territoire français. En 1922, le journal est absorbé par La Revue du Rhin et de la Moselle.
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