Extrait du journal

L'orgueil humain est tyrannique à ce point qu'au cours d’un dialogue entre un vivant et un mort, le mort n’est écoulé qu'à la condition d’être de l’avis du vivant. Dans l’intérêt des Français de demain, il faut souhaiter que les Français d’aujourd'hui soient capables de se hausser jusqu’à l’humilité et d’entendre ces jours-ci, dans les cimetières, autre chose que des approbations flatteuses. Qui que nous soyons, demandonsnous si nous n’avons pas ajouté, ne serait-ce que par légèreté d’esprit ou infirmité de jugement, au désordre politique d'ou sortent les catastrophes sanglantes. Avonsnous eu toujours assez de respect pour le bon sens traditionnel dont la longue suite de nos obscurs et patients dieux avaient fait la couronne de ce pays ? Avons-nous déployé assez d’énergie contre les doctrines corruptrices.3 Avons-nous su haïr avec assez de force les agents de la corruption ? Avonsnous su défendre avec assez de vigueur et pratiquer avec assez de zèle les vertus par quoi la France a mérité jusqu’ici de durer ? Et, dans ce pays où tant de politiciens enseignent que chacun doit vivre sa vie, avons-nous expliqué avec assez d'éloquence qu’un citoyen ne saurait rester lui-même et goûter pleinement à la douce joie d’exister dans une nation dépersonnalisée que les louches agents d un humanitarisme, qui n'est en fait qu’un humanisme dévoyé, s'efforcent d’assimiler à ces maisons de passage où la débauche déshonore l’amour en prétendant le singer ? Nos morts habitent des lieux où l'hypocrisie n’a plus accès. Si la vérité en robe blanche ne devait pas nous accompagner demain dans notre pèlerinage, mieux vaudrait s’abstenir d’aller leur offrir des fleurs. A quoi bon rechercher des occasions de nous mépriser, en un temps où il est si commun de devenir méprisable ? Et notre visite au « Soldat Inconnu » ne prendrait-elle pas un caractère blasphématoire si nous entendions continuer à faire la politique qui, après avoir creusé ce caveau funèbre, s’apprête à en creuser un second ?...