Extrait du journal

Quelle manne empoisonnante distribuent, hélas ! tant de nos quotidiens ! Quel reportage à o,and renfort de titres et de sous-titres, d’alléchants commen taires, excitent l’imagination du lecteur, ou attisent sa haine et sa révolte. Cependant, il y a tant de faits qui, pour rester dans l’ombre, n’en sont que plus émouvants, tant de témoignages de charité, de dévouement, d’amour frater nel, qui équilibreraient tant d’in justices et tant de pernicieux exemples. Ne pourrait-on lutter contre ce reportage rouge, et y opposer ce que l’on pourrait appeler le reportage blanc, pour qu’enfm le meilleur de non s-môme remonte! à la surface, et que le monde gagne en beauté ce qu’il perdra en laideur ? Qui, autre que les intéressés, n connu certains de ces gestes restés dans l’ombre, ces gestes sur lesquels il est bon parfois de projeter la lumière pour com penser l’éclat trop dur d’autres gestes moins nobles ? J’ai deux petites amies, orphe lines, vivant seules du fruit de leur travail de couture. L’une es! infirme depuis de longues années, paralysée des deux jambes. Elle avait grand besoin d’un changement d’air, d’un séjour à la campagne, pour com battre une pernicieuse anémie tpii menaçait de détruire com plètement sa pauvre santé déjà bien handicapée. Le docteur, consulté, insista : il proposa un placement à prix réduit, mais la petite in tir me ne voulait pas se séparer de sa sœur. Partir toutes les deux était impossible, faute de ressources suffisantes. Et les humbles lin ge res travaillaient, penchées sur leur ouvrage... Un jour, un monsieur entre J quelles ne connaissent pas. C’est un commerçant de la ville, il a entendu parler d’elles. Par qui ? elles ne savent pas. Ne voudraient-elles pas aller toutes les deux à la campagne durant l’été qui vient ? Deux mois de bon air, de nourriture saine, de changement de cadre leur seraient certainement profi tables. L’infirme en a besoin, certes, mais sa sœur ne vaut guère mieux, et les joues pâles se rosiraient avec profit. Les jeunes tilles se regardent illuminées d’espoir, d’attente... Allons, elles iront à la cam pagne bientôt, un joli coin de verdure au milieu des champs, un horizon sans limite, de l’air à profusion, et le séjour payé. C’était il y a deux ans. L’été dernier elles sont reve nues à la campagne par le même moyen, et les joues ont rosi, les forces ont repris, l’ap pel it a augmenté, et aussi la joie de vivre. Comme la charité n’a jamais ruiné personne, j’imagine que le généreux commerçant qui a re nouvelé une deuxième fois son geste de semeur de bonheur n’a pas dû, en fin d’année, compter un lourd déficit dans sa caisse, mais il s’est sûrement enrichi de la joie qu’il a donnée. En face de celui-là, il y en a d’autres qui sèment la haine ?... Oui, hélas ! Mais écoutez encore : Dans une famille nombreuse ouvrière, on a besoin de 1.500 francs, un besoin urgent, et pour des fins très honorables que moi seule connais. Mais d’où sortir cette somme ? Une discrète sous cription entre amis peut-être nous aiderait à commencer line première récolte, mais... les. temps sont durs, et la modeste part que nous pourrons apporter sera encore bien loin de parfaire la totalité. Il nous faudrait un don assez rondelet pour que nous puissions arriver à « joindre les deux bouts ». A quelle porte frapper ?... Demander de l’argent pour une charité qui, de prime abord, ne semble pas tellement urgente, me parait bien téméraire ! Et pourtant je demande. Si peu que chacun donnerait ce serait toujours autant. •Te demande... Le premier auquel je m’adresse par écrit ne me fait pas long temps attendre sa réponse : le lendemain exactement, je trouve dans ma boite aux lettres line enveloppe contenant 1.500 francs....