PRÉCÉDENT

L’Aube, 12 août 1950

SUIVANT

URL invalide

L’Aube
12 août 1950


Extrait du journal

Réunie à Strasbourg peur la seconde fois, l’Assemblée consultative européenne s’efforce de survivre à la désolante epreuve d une annee gâchée. _ f , Strasbourg en fête avait accueilli dans l’espérance et dans la joie, l’année dernière, l’effort qui allait se tenter dans ses murs en^ vue de constituer sur notre vieux continent une communauté unique d hommes libres, munie pour la première fois d institutions. Pour réaliser un grand rêve séculaire qui cessait enfin d’être hors de portée, il semblait que cette fois les Etats étaient devenus compagnons des peuples : la caution des gouvernements confirmait la foi des foules. La grande ville du Rhin cs't, cette année, de nouveau parée de dra-^ peaux, mais il est clair que la grande attente et le grand enthousiasme qui l'avaient soulevée, l’an passé, ont fait place, sous le poids des préoc cupations du jour, à l’incertitude née de la déception. C’est une grande difficulté que de surmonter l’habitude du quantà-soi national. Ce n’en est pas une moindre que d’obtenir de gouvernants, harcelés par les problèmes de tous les jours et par leurs soucis propres, qu’ils ajoutent à leurs tracas celui de la construction d un continent qui, étant le plus ancien berceau de l’Etat traditionnel, est, historiquement et géographiquement, le plus divisé. Il arrive ainsi que des esprits réputés réalistes finissent par estimer que faire face aux graves et inquiétants problèmes qui ne nous sont pas ménagés par la rigueur des temps suffit à occuper son homme. A quoi bon, dans ces conditions, se créer à soi-même des complications nouvelles en pourchassant la chimère ? Et, pourtant, le problème est désormais posé de savoir si l’extrême prudence des vieilles traditions de 'Etat séparé n’aboutit pas au suicide Dans les Parlements d’Europe, à l’Assemblée consultative de Stras bourg, dans les commissions qui dépendent d'elle, dans tous les comités et sous-comités que la vie internationale sème à profusion sur ses routes, on discute sans parcimonie. Les arguments se suivent et se contredisent, les documents s’accumulent au quintal, mais cette activité où tant de talents se dépensent et où foisonnent les idées les plus justes ne se traduit par aucun soulagement aux iiuÿnéludes du monde. Malgré tant d’efforts, rien ne bouge. Devant le péri! chaque jour plus pressant, nous restons aussi démunis que si nous n’avions rien tenté. C’est qu’en fait nous n’avons jusqu’ici rien accompli qui soit à la mesure et au rythme de notre époque. En lace de nations intransigeantes dans le maintien d’une souve raineté conçue dans les formes traditionnelles, et pendant que se poursuit avec éloquence un échange de vues sur la meilleure manière de s’unir qui pourrait durer des siècles, une implacable unité a déjà englouti un tiers des humains. Le silence de la servitude et de la peur nous est odieux, mais il s’étendra encore dans l’espace si nous ne lui opposons qu'une dialectique: l’impuissance. Pendant qu’en Asie progresse à pas de géant la menace qui n'est même plus camouflée d'un empire universel, allons-nous continuer, dans cette Europe qui fut à l’origine de toutes les civilisations modernes, à ne pas comprendre qu’une évidence à crever les yeux exige, des hommes qui veulent vivre libres, l'unité ? Depuis ce temps où nous avons commencé à nous réunir pour nous défendre, à Bruxelles d’abord puis dans le Pacte de l’Atlantique, il est malheureusement impossible de contester que si nous avons constamment progressé dans les textes nous avons très peu progressé dans les faits. .Si chacun, particulièrement en Europe, s’efforce de se sauver tout seul ou croit qu’on peut sauver tout le monde en laissant à chacun la decision quant au concours qu’il doit apporter, ce n’est pas une Assem blée européenne réduite à 1 impuissance, ce ne sont nas les comités de coordination dont nous sommes riches qui suffiront à sauver l’existence du monde occidental. Si nous voulons survivre — ce qui s'appelle vouloir — nous. Euro péens. nous avons à faire quelque chose en commun qui n’a pas été fait jusqu à présent et qui consiste d’abord à préparer, ensemble et vite, une défense qui mérite enfin son nom. Impuissante tant qu'elle restera exclusivement nationale et indivi duelle en chaque pays, la défense peut devenir efficace si elle est unifiée sous une autorité incontestée. Cela comporte des sacrifices : sacrifices d’habitudes, de traditions, qui peuvent être douloureux mais qui s’im posent si l’on veut que toute l’Europe soit défendue par toute l’Europe. Il est évident que, si les divers Etats européens dont * les moyens militaires additionnés sont, comme il est connu, grandement insuffisants, veulent poursuivre à travers une succession de conciliabules divers une politique de chacun pour soi, qui ne se formule pas mais se pratique avec persévérance, la disproportion des forces, qui est éclatante, entraî nera l’ccroulement successif ou simultané de tous les égoïsmes sacrés. Quand les cités grecques surent se soumettre à un commandement commun, l’invasion des Perses fut arrêtée avec des forces numérique ment inférieures. C’étaient les jours sublimes de Marathon et de Salami.ne. Quand, plus tard, ces mêmes cités s’obstinèrent dans leurs querelles, par attachement têtu à la fierté de leurs particularismes traditionnels, la phalange macédonienne submergea d'un seul coup toutes les indépen dantes jalouses. La défense d’une souveraineté totalitaire aboutissait à la servitude. C’est aujourd’hui le même problème qui se pose pour les nations d’Europe. Il n’y a pas de défense particulière isolée qui vaille. Seule la défense commune peut préserver la paix, nos libertés, la seule civilisation qui mérite ce nom, tout ce qui fait la valeur et la grandeur de la vie. Dès lors, deux commandements s’imposent à l'Europe : (Lire la suite en deuxième page, septième colonne.)...

À propos

L’Aube est fondée en 1932 par Francisque Gay et Gaston Tessier. Ce journal d’opinion, d’obédience catholique et de gauche, a d’abord beaucoup de mal à rallier les catholiques démocrates du pays à cause de son positionnement pas vraiment clair entre socialisme et Église. Il arrive néanmoins à fidéliser un lectorat restreint. Pacifiste et favorable à la politique de Locarno, L’Aube fut souvent violemment attaquée par la droite catholique ainsi que par l’extrême droite, notamment L’Action française.

En savoir plus
Données de classification
  • churchill
  • gromyko
  • wallace
  • theunis
  • winston churchill
  • marcadet
  • oléron
  • caton thompson
  • languepin
  • muller
  • europe
  • strasbourg
  • russie
  • corée
  • france
  • prague
  • lyon
  • tchécoslovaquie
  • bordeaux
  • jort
  • l'assemblée
  • m. x
  • parti progressiste
  • sénat
  • parlement
  • espèce de
  • comités de coordination
  • nations unies